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maxime était celle-ci : Nemo saltat sobrius. Une matrone n’aurait pas dansé en public.

Les chefs d’œuvre de la mimique, tels que les jouèrent plus tard les Bathyle et les Pylade, étaient, si l’on veut, des drames muets. Quel en était le sujet ? Des scènes amoureuses que peut-être le récit de la parole n’aurait osé exprimer ni faire entendre : les amours de Bacchus et d’Ariane, avec les sous-entendus et les équivoques des détails érotiques que le spectateur devait deviner. C’est là ce qui charmait les regards du peuple-roi à l’époque de la décadence.

Voilà ce qu’on a donné depuis comme les chefs-d’œuvre de cet art qui méritaient d’être admis et mis en parallèle avec ceux des autres arts.

Au moyen âge, on retrouve sous toutes les formes la danse religieuse, nationale, etc. On arrive à la Renaissance et aux siècles suivants. L’art chorégraphique alors se transforme ; il s’émancipe et devient lui-même ; mais alors la danse apparaît ce qu’elle est, un simple divertissement. Mélée aux fêtes qui se donnent à la cour des princes, elle a une grande place dans les amusements par lesquels se manifeste la joie dans les réunions publiques ; mais elle est déchue de sa dignité et de son sérieux. Elle n’est plus ce qu’elle était quand elle avait un caractère religieux, moral, etc. Comme pur divertissement, elle n’est même pas ce qu’il y a de plus noble, et elle n’est toujours qu’un accessoire. La représentation du beau chez elle, au théâtre, dans les bals, etc., n’est pas sans doute exclue. En cela elle est un art. Seulement cet art ne peut se maintenir tout à fait même sur son propre terrain. On dirait qu’il a le pied glissant. Il ne peut éviter le danger qui lui fut toujours reproché et qui l’a fait toujours sévèrement juger et blâmer par les moralistes religieux et profanes, celui d’exciter la passion, et, de toutes les passions, la plus dangereuse et la plus inflammable. Tout réside dans l’attrait mutuel des deux sexes, au lieu, comme l’art pur l’exige, de produire un plaisir plus noble, celui de la contemplation désintéressée du beau. Elle devient un art ; mais, comme Bacon la définira, un art voluptaire, ars voluptaria. (De Dignit. et Augm. scient.) Je suis loin de nier qu’il y ait une danse chaste, mais on conviendra qu’elle est rare et qu’ils sont rares les artistes qui la conçoivent ainsi et la maintiennent dans les conditions qu’alors elle exige ; qu’il y a aussi peu de spectateurs capables de la goûter ainsi et de s’en contenter. La plupart la trouveront froide, insipide, ennuyeuse. Il n’y a qu’à demander à la jeunesse des deux sexes ce qu’elle en pense.

Quant au ballet pantomimique qui, dit-on (Noverre, R. Wagner),