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GUARDIA.philosophes espagnols

d’utiles documents. Mais nul ne s’inquiète en Espagne de continuer Llorente ni de refaire le livre mal fait du fanatique Amador de los Rios. Lors de l’expulsion des juifs, à la fin du xve siècle, la résidence ne fut permise qu’à ceux qui se résignèrent au baptême. Ils formèrent la classe nombreuse et suspecte des convers ou nouveaux chrétiens, et leur situation n’était pas brillante. Le fanatisme les surveillait de très près, et leurs richesses les désignaient à la rapacité du fisc. Dans ces représentations théâtrales et sinistres que donnait périodiquement le Saint-Office, sous la dénomination singulière d’actes de foi, des convers figuraient souvent à côté des mécréants et des hérétiques, des blasphémateurs et des sacrilèges, avec l’étiquette de relaps.

On ne sait pas si les parents de Gomez Pereira s’étaient convertis au catholicisme avant ou après le décret d’expulsion. Pour lui, quand on ne saurait pas qu’il était de race juive, il serait facile de se convaincre qu’il appartenait à l’ordre des convers, aux précautions excessives qu’il prend pour se mettre en paix avec l’autorité ecclésiastique. Non seulement il invoque Jésus comme un Mécène, et la Vierge, dont il se dit le protégé ; mais il protesta en mainte occasion de sa soumission absolue aux décrets de l’Église, prêt à faire amende honorable de ses erreurs involontaires. Rien de plus touchant que la fréquence de ces protestations presque puériles d’orthodoxie. On sent qu’en les faisant, cet homme intrépide, qui aborde avec une vaillance rare les plus hardis problèmes de la pensée, tremblait pour sa peau, avait peur du bûcher. Qui oserait lui reprocher sa prudence ? En ce temps de persécution ouverte, les libres esprits n’échappaient au soupçon d’incrédulité ou d’hétérodoxie qu’en faisant des professions de foi très explicites ou en recommandant leurs écrits à quelque tout-puissant personnage. L’Inquisition n’osait pas toucher aux livres dont Charles-Quint ou Philippe II avaient accepté la dédicace. C’était la nécessité, encore plus que l’ambition et le désir de plaire, qui obligeait les auteurs à solliciter la protection royale. C’est par là que Gomez Pereira, Juan Huarte et Oliva Sabuco évitèrent les rigueurs de la congrégation de l’Index, du moins de leur vivant ; car la censure ecclésiastique ne perdait jamais ses droits et n’admettait point la prescription, ainsi que l’attestent tant d’ouvrages expurgés plus d’un siècle après leur publication.

La philosophie sérieuse ne va pas sans la science solide. Notre médecin-philosophe était un savant, et d’un savoir très étendu, très varié, très personnel. Il devait son instruction peu commune à cette illustre université de Salamanque, où il fit probablement ses classes