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de grammaire et d’humanités, et sûrement ses études de philosophie et de médecine. Si la curiosité littéraire existait en Espagne, les registres matricules des facultés des arts et de médecine de Salamanque pourraient fournir d’utiles informations sur la vie scolaire de Gomez Pereira. Elle ne dut pas se prolonger beaucoup au delà de la vingtième année, d’après son propre témoignage. En mettant au jour son premier ouvrage, en 1554, il déclare à plusieurs reprises que c’est le fruit de trente ans de méditations ; et dans les préliminaires, comme en maints passages du second, publié en 1558, il assure que cet ouvrage lui a coûté trente-cinq ans de travail, près de quarante, dit-il, dans un autre endroit. Et, en effet, les dates des épidémies qu’il lui fut donné d’observer dans la ville où était son domicile attestent que sa vie de médecin avait dû commencer dès l’année 1520. La licence et le doctorat en médecine dans les anciennes facultés se conféraient souvent avant la vingtième année. Les bacheliers reçus entre seize et dix-huit ans n’étaient pas rares. Aussi notre médecin-philosophe pense-t-il qu’en ces matières délicates qui demandent beaucoup de réflexion et d’expérience, on ne devrait pas se permettre d’écrire avant l’âge de quarante ans, après vingt années de préparation. Et, de fait, la maturité est la meilleure recommandation pour les philosophes comme pour les médecins. Sauf quelques rares exceptions, ni la philosophie ni la médecine n’ont tiré grand profit des talents précoces. Et l’on sait que dans les sciences en général les fruits secs sont infiniment plus abondants que les fruits mûrs. De même, dans la nature vivante, les germes qui avortent sont innombrables en comparaison de ceux qui viennent à terme.

Quoiqu’on ne sache pas comment se termina la vie de Gomez Pereira, il est permis de croire qu’elle fut heureuse, puisqu’il vécut selon sa vocation, qui était de penser profondément, d’observer beaucoup et bien, de se passionner pour la vérité, jusqu’à se compromettre en la servant de tout son cœur. Sa prudence n’alla pas jusqu’à ces concessions que la peur conseille ou arrache aux libres esprits qui philosophent sous la menace des persécutions. S’il a conscience du péril, et n’oublie rien pour le conjurer, d’un autre côté sa sécurité paraît grande, bien qu’il n’atteigne pas cette sérénité des hautes régions où se réfugient les esprits sublimes ou égoïstes. Tirant un merveilleux parti des circonstances, il sut se ménager l’appui de quelques grands personnages qu’il servit de manière à faire apprécier ses talents. Le premier de ces puissants protecteurs fut son ancien professeur de philosophie, Juan Martinez Siliceo, qui, parti de très bas, dut à son mérite d’être choisi par Charles-Quint