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GUARDIA.philosophes espagnols

croyait pas à l’impureté naturelle de l’eau et de l’air. Le liquide et le fluide ne peuvent être corrompus, selon sa manière de voir, que par des corpuscules nuisibles qui les vicient. C’est la pure doctrine des modernes et de Lucrèce, que les modernes ne lisent guère, parce qu’il est ancien. Voilà donc un homme qui, au beau milieu du xvie siècle, croyait à la malfaisance des infiniment petits ; ce qui valait mieux que de croire aux esprits naturels, vitaux et animaux, et était très méritoire de la part d’un médecin qui se fiait peut-être plus aux sens qu’à la raison, bien que la sienne fût très solide, et qui d’instinct abhorrait les abstractions creuses, les fictions et les entités de l’école. Sydenham, qui lisait peu, mais qui observait beaucoup, et n’écrivait rien sans l’approbation de Locke, Sydenham eût été bien étonné d’apprendre que sa théorie de la fièvre et le meilleur de sa méthode thérapeutique n’étaient pas des nouveautés pour cet investigateur hardi, patient et sagace, peu déférent de sa nature, si ce n’est pour la vérité confirmée par l’expérience.

C’est à force de bon sens et de candeur que l’empirisme de Sydenham est imposant et respectable. Le médecin espagnol s’élève au-dessus de l’empirisme par la supériorité de son esprit, qui donne aux faits accumulés par l’expérience une signification plus haute, en s’aidant, il est vrai, des Grecs et des Arabes, qui avaient observé les uns sous des climats semblables, les autres sous la même latitude. De là son indépendance à l’égard de Galien et même d’Hippocrate, que les commentateurs et les observateurs du Nord, tels que Baillou, Duret, Houilier considéraient comme des divinités impeccables, bien que le milieu où ils observaient fût tout autre que celui où observaient les médecins grecs et arabes. Parmi les chapitres les plus remarquables de ce « traité de médecine véritable et nouvelle », où la critique et la polémique tiennent au moins autant de place que la doctrine, ceux qui traitent des fièvres intermittentes, de la peste, de la variole, sont des œuvres magistrales et des monographies excellentes. On sent que cet observateur, qui avait tant lu les maîtres, puisait les germes de ses idées dans ses observations et ses lectures ; et l’amour des détails, qui atteste sa conscience, ne l’empêche point de penser en grand, selon l’habitude des esprits nés pour philosopher. Aussi est-il de la famille de ces auteurs qu’il faut lire entre les lignes et qui tiennent toujours la curiosité en éveil. C’est à ces signes qu’on reconnaît les philosophes, los pocos sabios que en este mundo han sido, selon les mots d’un poète et d’un écrivain de génie qui fut lui-même un de ces sages que le monde connaît peu.