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analyses. — guéroult. Le centenaire de 1789.

égard, une bonne théorie politique donnerait non pas des préceptes en quelque sorte empiriques et irrationnels de tolérance, mais des règles fondées sur des distinctions qu’il convient d’établir entre les diverses catégories d’erreurs d’après leur nature, leur diffusion et l’intensité de la foi qu’elles incarnent. On ne saurait tolérer, logiquement, les erreurs diffamatoires si peu répandues qu’elles puissent être ; tandis qu’on peut tolérer certaines erreurs mystiques, même très répandues. Il arrive aussi qu’en s’affaiblissant quelques-unes de celles-ci perdent le caractère dangereux qu’elles pouvaient présenter au moment de leur pleine vigueur. Sans entrer dans ce détail, on devine que la solution de ces difficultés n’est pas livrée à l’arbitraire, mais dépend de lois fixes, à la rigueur formulables.

Il me semble que la science sociale, sur laquelle s’appuie M. Ferneuil, serait plus complète si elle cherchait à les formuler. — Quoi qu’il en soit, le livre que nous venons d’apprécier est intéressant, instructif et opportun, et digne assurément d’être recommandé aux lecteurs de la Revue.

G. Tarde.

Georges Guéroult.Le centenaire de 1789. Évolution politique, philosophique, artistique et scientifique de l’Europe depuis cent ans. Paris, Alcan, 1889, p. vi-399. in-18 (Bibl. d’hist. contemp.).

M. Guéroult a pris la charge d’écrire un livre dont le programme avait de quoi effrayer les plus hardis. Il s’est donné en même temps à lui-même, avec une franche modestie, la permission d’être incomplet, et il s’est sauvé de la sécheresse par une certaine négligence aux passages difficiles. Certes, on peut lui reprocher l’absence d’un plan suffisamment méthodique, et d’un lien entre les parties du livre, qui aurait montré les rapports nécessaires de la pensée et de l’action. On jugera sans doute aussi que la critique des faits et des théories est parfois sacrifiée à l’exposition des doctrines mêmes de l’auteur. Mais, pour cela justement, son travail prend l’intérêt d’un ouvrage personnel, et, à défaut d’une ordonnance plus sévère, on ne refusera pas d’y voir cette unité intérieure qui vient des tendances profondes de l’écrivain et des émotions par lesquelles s’est formée sa vue particulière du monde.

M. Guéroult n’a pas rompu tous les liens naturels qui le devaient rattacher encore au Saint-Simonisme. De là, une idée très large de la vie, une inspiration sympathique, les « longs espoirs », avec quelques tempéraments d’un scepticisme délicat, une visée sociale, enfin, qui se traduit par l’affirmation nette du progrès, par la foi en un règne de la paix, et, pratiquement, par un appel à la bienveillance mutuelle des hommes, à la bonne volonté.

En philosophie générale, guerre sans merci au positivisme étroit ;