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janet. — la géographie de la philosophie

la philosophie grecque l’intervention de Rome, ce n’est encore qu’un déplacement, ce n’est pas une création.

L’autre événement dont nous avons parlé, à savoir la conquête de l’Orient par Alexandre, fut d’un bien autre intérêt pour l’avenir de la philosophie, car il eut pour conséquence la création d’un centre nouveau de pensée, et d’une élaboration nouvelle pour la philosophie grecque, rajeunie et fécondée par l’infusion de l’esprit oriental. Jusqu’à quel point l’Orient avait-il pénétré dans la philosophie primitive de la Grèce ? Nous avons dit qu’on ne peut le déterminer avec précision. Mais, ici, nous saisissons cette influence d’une manière directe et historique ou pour mieux dire géographique.

Ce centre nouveau de la civilisation et de la philosophie a été la ville d’Alexandrie, fondée par Alexandre, à l’entrée du Delta et des bouches du Nil, et qui était devenue (comme aujourd’hui encore) l’entrepôt du commerce entre l’Asie et l’Europe, mais qui de plus, à cette époque, fut le foyer de la science et de la culture intellectuelles, en même temps que de l’esprit religieux.

On peut signaler à Alexandrie, dans les deux premiers siècles de l’ère chrétienne, trois ou quatre grandes écoles philosophiques et religieuses : 1o l’l’école juive d’Alexandrie fondée par Aristobule, et constituée surtout par Philon le Juif, contemporain de Jésus et le plus grand philosophe de cette période : il réunit en lui Moïse et Platon ; on disait de lui : Moses platonisans ou Plato judaisans ; les deux doctrines étaient d’ailleurs interprétées par l’esprit oriental, c’est-à-dire par l’esprit panthéistique, qui n’appartient en propre ni à la Grèce, ni à la Judée ; 2o à côté de l’école juive, il faut compter à Alexandrie encore les écoles gnostiques, plus théologiques que philosophiques, émanant d’un christianisme plus ou moins altéré par les doctrines de la Perse et de l’Égypte ; le gnosticisme, originaire de la Syrie, fut représenté en Égypte par Basilide et Valentin dans le Ier et le iie siècle de l’ère chrétienne ; ces doctrines étranges, malgré leur forme théologique, n’en ont pas moins en une très profonde influence sur toutes les doctrines mystiques hétérodoxes du moyen âge ; 3o la troisième école est l’école chrétienne d’Alexandrie, à savoir l’école de Clément d’Alexandrie et d’Origène ; c’est encore une école plus religieuse que philosophique, inspirée de l’esprit chrétien, mais mêlée de l’esprit platonicien, et qui a laissé également de grandes traces dans l’avenir ; 4o enfin, l’école païenne d’Alexandrie, ou néo-platonicienne, fondée par le portefaix Ammonius Saccas, contemporain d’Origène, et constituée surtout, organisée et développée par Plotin, le plus grand philosophe grec depuis Aristote et Platon.