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L’introduction de ces documents nouveaux (péripatéticiens, alexandrins, juifs et arabes) paraît avoir jeté quelque trouble et quelque hésitation dans les études philosophiques ; on y rattacha les théories aventureuses et panthéistiques qui commencèrent à paraître vers cette époque : l’école de Chartres (Thierry de Chartres et Gilbert de la Porée) ; Amaury de Bène et David de Dinant. On signale même à cette époque quelques traces d’épicurisme (Hauréau, II, p. 935). Le concile de Paris en 1210 condamna ces doctrines : quelques hérétiques même furent brûlés. Le même concile interdit la lecture des livres de philosophie naturelle, et même condamna certains ouvrages écrits en français. C’était la condamnation expresse des Auscultationes physicœ d’Aristote qui venaient de s’introduire dans les écoles. Le concile de 1215 portait expressément cette prescription : Non legantur libri Aristotelis de Metaphysicâ et de naturali philosophia. Ainsi, en 1215, Aristote est proscrit ; et cependant vingt ans plus tard on voit Albert le Grand et saint Thomas d’Aquin commenter la Physique et la Métaphysique, aussi bien que les autres ouvrages d’Aristote, et celui-ci devenir bientôt le maître suprême et incontesté de la scolastique. Comment s’expliquer ce paradoxe historique ? Voici cette explication qui a été découverte par M. Hauréau. En 1231, le pape Grégoire IX renouvelait l’interdiction du concile de 1215 ; mais, en même temps, dix jours après, il nommait une commission pour examiner et expurger les deux ouvrages incriminés. Il est probable que, grâce à cette expurgation, les ouvrages susdits rentrèrent peu à peu dans les écoles ; que même bientôt il ne fut plus question d’expurgation. Enfin l’autorité d’Aristote revint si bien en faveur qu’en 1266 une décision de prélats portait qu’on ne serait pas reçu aux examens de la licence, si l’on n’avait pas lu ces deux ouvrages.

À partir de ce moment, les études philosophiques des écoles portent sur la philosophie tout entière et non plus seulement sur la logique. C’est ce fait capital qui doit être rapporté à l’influence arabe. Ainsi Aristote, conservé par parties dans les vieilles contrées de l’Occident romain, était revenu tout entier de l’Orient et de la Syrie par l’Afrique et l’Espagne dans la France, désormais l’héritière de l’ancienne Grèce.

Le fait essentiel à signaler, au point de vue géographique, c’est qu’à partir de cette époque le centre des études philosophiques est à Paris. Sans doute, les plus grands génies de ce temps ne sont pas français. Ils viennent soit de l’Allemagne, soit de l’Italie, soit de l’Angleterre ; mais tous viennent pour s’instruire et pour enseigner à Paris.