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REVUE GÉNÉRALE.giordano bruno

Bruno avait encore composé à Paris un Purgatoire et Enfer, que nous n’avons plus, et un Chant Circéen, dédié à Henri d’Angoulême.

Il n’avait cherché, selon sa propre parole, qu’à marcher « sur les pas de Pythagore ». Michelet ne disait-il pas : « Le génie pythagoricien est l’inspiration première de l’Italie. Il en domine toute la civilisation. » Bruno respirait d’ailleurs l’air de la Renaissance, et le néoplatonisme de ce temps voulait faire revivre, sans y discerner le mélange de superstitions accumulées en elles par les siècles, ces doctrines anciennes.

Nous avons peine à bien comprendre ces philosophies audacieuses, vraies débauches d’une adolescence intellectuelle que nulle audace n’effrayait. L’histoire y retrouve pourtant la noblesse d’une foi très haute et des traditions scientifiques, et souvent les vues du génie. Ces synthèses si téméraires, elles ont animé l’esprit de Copernic, de Galilée, de Kepler. Et de leurs débris restent encore les vestiges d’efforts immenses, généreux et féconds.

Quand on ouvre ces opuscules de Bruno, en leurs vieilles éditions, avec leurs bizarres figures, et les dédicaces à Merlin l’enchanteur, à la fée Morgane, cette Circé du moyen âge, il semble que s’évoquent les images mystérieuses et sensuelles que peignirent Botticelli ou le Vinci, et que la Nature naturante, pour user d’un terme inventé déjà par Bruno, se soit offerte à l’imagination, dans CCS temps plus voisins qu’on ne croit de notre âge trouble et complexe, avec un charme de magie, une puissance fascinatrice, qui faisaient aimer la science comme une maîtresse et passionnaient les chercheurs pour une philosophie fortement empreinte de rêve et parfois de sorcellerie[1]

Giordano Bruno s’est livré à la pensée comme une sainte Thérèse pouvait se donner à la foi, sans mesure et sans réserve. Si la sûreté de sa doctrine a pu y perdre quelque chose, l’unité morale de sa vie en fut pleinement confirmée. Il eut en somme raison, de cette raison que la raison ne connaît guère, puisque les doctrines passent, et que l’exemple d’énergie est demeuré.

Et lorsqu’on songe, en maniant les œuvres jetées au cours de cette vie vagabonde, qu’elles ont reçu la sanction du martyre, il est permis de penser qu’elles méritent d’être doublement respectées.

Giordano Bruno pouvait espérer qu’il trouverait un asile sûr et durable dans « ce pays britannique auquel il dut confiance et hospitalité[2] ». Shakspeare avait vingt ans, Bacon vingt-quatre, lorsqu’arriva cette espèce de Prospère italien, portant à Londres la

  1. Bruno fit à maintes reprises l’éloge de la magie.
  2. Op. ital., II, 303.