Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVIII, 1889.djvu/436

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
426
revue philosophique

fit éclore la Renaissance. Il a leurs illusions, leurs éclairs de génie, leur ardeur enthousiaste, leur style barbare et magnifique.

Du monisme néoplatonicien qu’il enseigna, une doctrine devait naître, qui reste la plus directe héritière des vieilles sagesses antiques. Il fallait pour édifier la théorie nouvelle de la nature et de la connaissance une autre méthode, et la vie la plus opposée à celle de Bruno. Quand un penseur sagement retiré de tout commerce humain et de toute vanité mondaine écrivait l’Éthique, il était plus utile à la pensée humaine que le bouillant martyr de Nola, si l’on veut s’en tenir au seul point de vue philosophique.

Mais, au point de vue général du progrès humain, Giordano Bruno reprend et garde une place au premier rang. L’ancien esprit de la Campanie, l’âme brûlante de sa terre natale a vécu en lui. Elle a souvent illuminé sa science, et surtout elle a mené sa vie. On n’est pas seulement un philosophe par la grandeur de ses écrits. Bruno n’est pas moins nécessaire à la pensée que Spinoza. Certaines vies, et surtout certaines morts, valent des œuvres[1].

Pierre Gauthiez.

  1. Voici un célèbre sonnet de Bruno, qui résume sa vie, et que j’ai tenté de traduire mot pour mot.

    Puisque j’ai déployé mon aile au beau désir,
    Plus je vois d’air dessous mes : pieds, et plus rapide
    Je livre au vent ma plume, et plus vais, intrépide
    Et méprisant le monde, au ciel qui va s’ouvrir.
    Ni le fils de Dédale et le dur souvenir
    De sa fin ne t’abat, vol toujours plus splendide !
    Je sais ! Je tomberai mort à travers le vide :
    Mais aussi, quelle vie égale ce mourir !
    J’entends mon cœur ; sa voix me parle dans l’espace :
    « Téméraire ! où me portes-tu ? Reviens ! Repasse !
    Ce n’est guère sans mal qu’on tente un tel essor ! »
    Je dis : « Au noble mal marche sans épouvante !
    Si le ciel Le destine à tant illustre mort,
    Fends en paix la nuée et meurs l’âme contente. »

    « Poiché spiegate ho l’ali al bel desio,
    Quanto più sotto il pié Varia mi scorgo,
    Piu veloci le penne al vento io porgo,

    E spregio il mondo e verso il ciel m’invio.
    Né del figliuol di Dedalo il fin rio
    Fa che giù pieghi, anzi vie piu risorgo :
    Ch’io cadrù morto a terra ben m’accorgo :
    Ma quel vita pareggia il morir mio ?
    La voce del mio cor per l’aria sento :
    « Ove mi porti, temerario ? China,
    « Ghè raro è senza duol tanta ardimento ! »
    « Non temer, respond’io, l’alta ruina !
    « Fendi secur le nubi, e muor contenta,
    « Se il ciel si illustre morte ne destina. »