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analyses. — g. romanes. Mental evolution, etc..

rales les plus rudimentaires que l’auteur nomme recepts. Il réserve le nom de concepts aux notions qui ne peuvent s’exprimer qu’à l’aide du langage et qui représentent des « abstractions d’abstractions ». Examinons de plus près ces deux dernières catégories et les subdivisions qu’elles comportent.

Les « recepts » peuvent être appelés aussi idées génériques. Ils ont un caractère relativement simple ; ils sont si souvent répétés dans l’expérience, ils résultent d’analogies ou de ressemblances si évidentes que les images mentales se forment à peu près selon le mode des photographies composites de Galton. « Les arbres peuvent laisser dans mon esprit une image mixte, une sorte de représentation idéale des arbres. » Romanes emprunte à ses observations de naturaliste ou à celles de ses devanciers un grand nombre d’exemples pour montrer que chez les animaux cette forme inférieure de généralisation existe (p. 51 et suiv.). C’est une grande erreur de croire que les premières formes de l’idéation ne sont que des percepts. Le petit enfant qui appelle « papa » tous les êtres humains barbus et vêtus d’une certaine manière, se forme une idée générique. Mais ce groupement spontané reste toujours d’ordre inférieur, limité au champ restreint des ressemblances superficielles ; dans cette opération l’esprit reçoit plus qu’il ne conçoit : d’où le nom de « recept ».

Le concept a pour marque propre de ne pouvoir se passer du mot. Il se forme aussi par classification, mais, au lieu d’exprimer d’étroites ressemblances, il traduit des analogies lointaines. Nous trouvons un bon exemple de ce passage dans les classifications zoologiques qui, fondées d’abord sur des ressemblances superficielles, s’en sont dégagées peu à peu pour mettre en relief les caractères dominateurs. Mais ce terme de concepts est trop large et il faut établir une séparation entre les concepts inférieurs « qui sont des noms de récepts » et les concepts supérieurs « qui sont des noms d’autres concepts » (p. 73). Les premiers sont des signes qui permettent de se passer de perceptions sensorielles. Les seconds à leur plus haut degré sont le résultat de synthèses longues et élaborées, telles que vertu, gouvernement, équivalent mécanique, etc. Nous devons donc affirmer, contrairement à ce qu’ont soutenu Max Müller et bien d’autres, que l’on peut penser sans mots. En lisant une lettre, ne voyons-nous pas immédiatement la réponse à donner, sans la traduire immédiatement en mots ? Ne nous arrive-t-il pas de sentir, pour ainsi dire, une vérité, sans être capable de la traduire sur-le-champ par la parole[1] ? Quand le Logos apparaît, il y a déjà un magasin d’idées générales et, quel que soit son pouvoir créateur, il ne fait pas son apparition sur une scène vide et informe.

L’analyse psychologique témoigne donc en faveur d’un passage insensible du concret aux formes les plus abstraites ; mais, il reste

  1. Sur ce point consulter Kussmaul, Störungen der Sprache, ch. vu, avec des faits à l’appui.