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toujours cette question : Pourquoi l’homme seul a-t-il le langage ? N’y a-t-il pas là une ligne de démarcation nette ?

M. Romanes emprunte à son compatriote Mivart la classification suivante des diverses manifestations de la « facultas signatrix ».

1o Les sons qui ne sont ni articulés ni rationnels (cris de la douleur).

2o Les sons articulés, mais non rationnels (perroquets, idiots, etc.).

3o Les sons rationnels, mais non articulés (ceux par lesquels nous exprimons quelquefois notre assentiment ou notre dissentiment).

4o Les sons à la fois rationnels et articulés (le vrai langage).

5o Les gestes qui ne répondent pas à des conceptions rationnelles, mais traduisent les sentiments et émotions.

6o Les gestes qui répondent à une conception rationnelle et sont par suite externes, sans être des manifestations orales,

Après avoir modifié cette classification sur quelques points de détail, l’auteur fait remarquer que la plupart de ces « catégories du langage » sont communes à l’homme et aux animaux. Ceux-ci possèdent, sans contestation possible, au moins un germe de la faculté de s’exprimer par signes. L’auteur en donne (p. 90 et suivantes) un grand nombre d’exemples empruntés aux abeilles, aux fourmis, etc. Chez les vertébrés supérieurs (chiens, éléphants, singes), cette faculté se manifeste encore plus clairement.

Le chapitre VI, consacré à l’étude du langage des tons et des gestes, est certainement l’un des plus intéressants du livre. Ces deux, éléments jouent un rôle capital dans le langage primitif ; ils sont indispensables aux sauvages pour se comprendre. Il y a plus : le langage des gestes peut être un substitut du langage parlé et s’il avait été cultivé pendant de longues générations, si la prépondérance de la parole ne l’avait condamné à un rôle subordonné, on ne peut dire à quel degré il se serait élevé. Le colonel Mallery, qui a publié un livre sur le langage des gestes chez les Indiens du nord de l’Amérique, a montré que ces peuplades ont des moyens de communication très suffisants et peuvent dialoguer assez longuement par le seul emploi des gestes : M. Romanes nous donne l’extrait d’une conversation de ce genre qui ne contient pas moins de 116 paragraphes. Une remarque analogue a été faite depuis longtemps au sujet des sourds-muets. Le langage des gestes a même sa syntaxe que l’on peut résumer en quelques mots. Il n’y a pas de phrase organisée, comme dans le langage articulé ; le rapport entre les idées est exprimé par la place qu’elles occupent ; d’une manière générale l’idée principale est exprimée d’abord, les autres viennent à la suite selon leur rang d’importance ; beaucoup sont sous-entendues. Ainsi pour dire : « Mon père m’a donné une pomme », les gestes expressifs seront produits dans l’ordre suivant : « Pomme, père, je » ; sans rien ajouter pour exprimer l’action de donner. Ce langage, qui est celui des recepts et le plus simple des langages conventionnels, se distingue par l’absence de copules.

Le geste a le désavantage sur le mot d’être une simple peinture, il