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analyses. — g. romanes. Mental evolution, etc..

est vague et encombrant. De là vient que l’articulation, dès qu’elle a pu se produire, est devenue le langage par excellence. À la vérité, elle ne suffit pas ; sans quoi les oiseaux parleurs auraient donné naissance par évolution à un rival de l’homme ; mais l’évolution suppose un grand nombre de conditions qui ne se sont pas trouvées dans le cas de ces oiseaux. L’auteur pense d’ailleurs avec Huxley que ce sont des raisons anatomiques très faibles qui empêchent le singe de parler (p. 153).

Il distingue dans le développement du langage cinq stades : 1o indicatif (traduit les désirs et états émotionnels) ; 2o dénotatif (employer des noms) ; 3o connotatif (désigner des classes) ; 4o dénominatif (concepts) ; 5o prédicatif (formuler des propositions). Tout le monde considère le jugement comme marquant la distinction entre l’homme et la bête ; c’est, dit Max Müller, « le passage du Rubicon ». Mais, dit Romanes, la faculté de juger est antérieure au dernier stade qui n’en est que la forme explicite ; en réalité, nommer c’est juger et tout nom est à l’origine une proposition. Dire « fou » ou « tu es fou », c’est juger dans les deux cas ; la proposition est matérielle dans le premier et formelle dans le second ; la différence est dans l’expression, non dans l’acte psychologique. Il distingue donc trois espèces de jugements qu’il appelle : 1o réceptuel (inférences automatiques, pratiques) ; 2o préconceptuel (qui répond aux concepts inférieurs, ce sont des inférences plus élevées qui se produisent chez l’enfant, avant qu’il arrive à la conscience de lui-même) ; 3o conceptuel (le véritable jugement qui nomme, affirme avec pleine conscience), p. 193. La faculté de juger a donc, elle aussi, ses degrés ; elle ne peut être considérée comme une apparition, comme « un passage du Rubicon ».

Le fait auquel l’auteur semble attacher le plus d’importance comme caractéristique de l’homme, c’est la conscience de soi (ch.  X), c’est-à-dire l’attention portée sur les phénomènes intérieurs, la connaissance introspective de soi-même comme sujet : « Je soutiens, dit-il, dans ce chapitre, que, étant donné le protoplasma de la faculté des signes à ce degré d organisation que représente le stade dénotatif ; et étant donné le protoplasma de jugement organisé à ce degré où l’esprit constate une vérité sans être assez développé pour avoir conscience de lui-même comme objet de pensée et par conséquent n’étant pas capable de constater une vérité comme vraie ; par la coalescence de ces deux éléments protoplasmiques, il se produit un acte de fécondation tel que les processus ultérieurs de l’organisation mentale se développent insensiblement et atteignent bientôt le stade de différenciation entre le sujet et l’objet. »

Nous n’insisterons pas sur la partie de l’ouvrage consacrée à résumer les résultats de la philologie comparée. M. Romanes combat vigoureusement la thèse de Max Müller d’après laquelle les langues indo-européennes seraient réductibles à 121 racines. D’abord ces racines sont-elles de vrais types ? ne sont-elles pas plutôt des « phonogrammes », c’est-