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à-dire les analogues d’une photographie composite d’un grand nombre de mots appartenant tous au langage préhistorique et ayant à peu près le même sens ? De plus, beaucoup de ces prétendues racines expriment des actes qui se rapportent à une vie demi-civilisée, pastorale ; elles ne donnent donc pas le primitif ; elles supposent un long passé sans histoire. Il nie donc que ce soit les types originaux du langage ; il nie aussi qu’elles doivent être considérées comme générales : elles sont génériques, c’est-à-dire vagues et indéterminées.

Mais comment s’est faite la transition dans la race des formes inférieures du langage à la parole articulée ? À cette question, on ne peut donner que des réponses d’ordre purement spéculatif, émettre de simples hypothèses.

Il y a celle de certains philologues allemands qui font naître la parole d’un mécanisme purement réflexe, de cris instinctifs qui, par associations répétées, auraient acquis une valeur comme signes. D’après Geiger, la vue jouant chez l’homme un rôle prépondérant, la communication a dû s’établir par des gestes et l’attention a dû être dirigée particulièrement sur le mouvement de la bouche comme mode d’expression. M. Romanes se rallie, en la modifiant, à l’hypothèse exposée par Darwin dans sa Descendance de l’homme. « Je pense qu’il est presque certain que cette faculté du langage articulé à été le produit d’une évolution très tardive, en sorte que l’être qui le premier à en cette faculté était plutôt humain que pithécoïde (ape-like). Cet Homo alalus je me le représente comme bien grossier, mais comme ayant l’attitude droite, fabricant des outils et des armes de pierre, vivant en troupes ou en sociétés, apte à un haut degré à communiquer ses recepts par des gestes, par l’expression de la face et des sons vocaux. Dans cette hypothèse, l’évolution de la faculté des signes dans la direction des sons articulés semblerait plus facile à imaginer que dans toute autre. J’ai retracé le cours probable de cette évolution, en m’appuyant sur diverses analogies, notamment sur la signification remarquable de ces sons inarticulés qui survivent encore sous le nom de « claquements » dans les langues grossières de l’Afrique » (p. 429).

En résumé, il n’y a pas de différence spécifique entre la phase indicative du jugement qui est commune aux hommes et aux animaux et la phase prédicative qui est propre à l’homme. La division de la phrase en sujet et en prédicat est un pur accident et l’on ne peut que s’étonner du préjugé invétéré qui ramène toujours l’analyse du jugement à celle de la logique aristotélicienne fondée sur une langue aussi développée que celle des Grecs. « Si Aristote, dit Sayce, avait été Mexicain (c’est-à-dire usant d’une langue polysynthétique) son système de logique aurait pris une forme tout à fait différente » (p. 321).

Nous croyons que, dans la mesure possible, M. Romanes à établi par des arguments de fait sa thèse, qu’entre l’intelligence animale et l’intelligence humaine, la transition est insensible. Un critique anglais en rendant compte de son livre (Mind, april 1889, p. 264) prétend