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notices bibliographiques

Paul Stapfer. Rabelais, sa personne, son génie, son œuvre. Paris, Colin, 1889, xiv-507 p., in-18.

Aux éloges que son Rabelais a déjà valus à M. S., j’ajoute le mien. Ce livre est de bonne critique, celle qui raconte un auteur, l’explique et le fait mieux goûter. M. S. se gare joyeusement de la « critique scientifique » : il a cent fois raison, s’il entend qu’on ne saurait jamais bien parler d’une œuvre littéraire sans avoir le sens littéraire, et il prouve d’exemple, au profit de notre curiosité d’artistes ou de moralistes. Je laisse au lecteur le soin de retrouver dans son livre les bons passages, soigneusement relevés, où la sagesse de Rabelais se peut le mieux connaître. Quant au jugement que M. S. lui-même en a porté, il est un peu partout et il résulte de tout l’ensemble. Je ne citerai que cette demi-page :

« La philosophie de Rabelais est contradictoire : elle enferme le néant dans une joyeuse affirmation de la vie ; elle adore la science, et croit peu à la raison humaine ; elle associe, par un paradoxe étonnant, le vaillant optimisme de la plus belle humeur qu’on ait jamais vue avec cette indifférence sceptique pour le triomphe du bien et du vrai, avec cette mollesse de la vertu et de la foi, qui constituent le fond désespéré des idées et des sentiments pessimistes. Proclamant à la fois la grandeur de l’âme et la souveraineté de la matière, le règne de Dieu et celui de la Nature, la philosophie de Rabelais, inconséquente et timide, fonde en France la secte des libertins et d’avance la désavoue dans les excès logiques de sa licence morale et de son incrédulité religieuse. »

Étude solide, la première qu’on puisse tenir comme complète. M. S., dans sa préface, ne nous avait pas trompés.

Lucien Arréat.

Theodor Gomperz. John Stuart Mill. Ein Nachruf. (Wien, Konegen, 1889, 49 p., in-8o.)

M. G. écrivit, après la mort de Stuart Mill (7 mai 1873), deux articles qui lui furent demandés pour la « Deutsche Zeitung ». Il les réédite aujourd’hui, avec des notes. Sa brochure présente un intérêt d’autant plus vif, que M. G. a compté parmi les amis du philosophe. Il retrace la vie de Mill et dépeint son caractère, en homme qui l’a compris et qui l’a aimé. Il faut lire ce portrait dans l’original. Le trait marquant qu’on en retiendra peut-être (mais je donne ici une interprétation personnelle, et non pas un abrégé), c’est que Mill demeure un pur logicien, rationaliste par éducation, révolutionnaire par chaleur d’âme, ayant participé à la vie publique de son pays sans être jamais tout pratiquement Anglais, ayant frayé des routes nouvelles sans y planter le dernier drapeau, un homme enfin qui nous paraît déjà, à beaucoup d’égards, être d’un autre âge, si grande et si légitime qu’ait été son influence.

Les rapports de Mill avec Comte sont une des circonstances de sa