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D. Maximilian Brütt. Der Positivismus, nach seiner urprunglicher Fassung dargestellt und beurteilt. Hambourg, 1889, 61 p., in-4o.

L’œuvre de Comte, on le sait, a été très attaquée en Allemagne. Est-ce à dire qu’elle n’y ait point jeté de racines ? Ce n’est pas l’avis de M. B., et il ouvre ce résumé du Cours de philosophie positive, écrit à l’usage des écoles, par une courte histoire de l’extension du positivisme dans l’Europe savante. On en pourrait dire brièvement la destinée : partout la doctrine spéciale de Comte a été tenue en suspicion, mais partout la poussée à été reçue.

La brochure de M. B. se termine par quelques critiques générales. Il reproche à Comte d’avoir infligé le mot de « métaphysique » à toutes les entreprises dépassant le pouvoir de l’esprit humain, et d’avoir négligé pourtant de lui fixer ses limites par une juste théorie de la connaissance. Il lui reproche encore de bannir l’emploi du calcul après la chimie, et de marquer inutilement la ligne de séparation toujours flottante entre les sciences de quantité et les sciences de qualité. Comte même, selon M. B., n’aurait pas eu raison de distinguer entre l’hypothèse positive et l’hypothèse métaphysique. Je comprends bien cette dernière objection, si nous parlons de l’hypothèse active. Mais n’est-il pas légitime de qualifier avec ces mots les résultats de nos recherches, laissés au fil fragile de nos artifices logiques ou de nos méthodes ?

Comte a proscrit, bien à tort, l’introspection en psychologie. Du moins, M. B. lui fait honneur d’avoir affirmé très nettement l’existence, pour tout fait psychique, d’un substratum physiologique. Les recherches psycho-physiques témoigneraient ici de l’influence du philosophe français.

La singularité de Comte, c’est sa conception religieuse. Comment en est-il venu à faire concorder l’avènement du culte de l’Humanité avec la déchéance du sentiment religieux dans le cœur des hommes ? M. B. voit là une marque de sa tendance foncièrement intellectualiste, en même temps que le besoin de réintégrer à la fin dans le tissu de l’expérience le sentiment spécifique dont il avait cru pouvoir se passer. Ce qui décida le maître, nous dit-il, ce ne fut pas le soût d’une harmonie artificielle, ni la curiosité métaphysique, ce fut le cri profond de la nature. Il ne faut pas que le trait naturaliste déguise pour nous le caractère religieux de son entreprise. Elle annonçait une âme puissante, toujours en travail, et ceux-là seuls, dont les orages intérieurs n’ont jamais troublé la vie, y verraient prétexte à railler ou à s’étonner.

Lucien Arréat.