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G. TARDE.le crime et l’épilepsie

causes sociales du délit, et croient y parvenir en exagérant celle des influences héréditaires, biologiques. Lombroso qui, par délinquant d’occasion, semble entendre criminel social opposé à criminel naturel, est préoccupé d’atténuer les chiffres qui expriment la proportion de cette délictuosité. Il prétend n’avoir trouvé, sur 2,000 prisonniers, que 43 délinquants d’occasion. Et encore, ajoute-t-il, sur ces 43, 19 étaient des dégénérés. Mais, en 1840, Lecomte avait compté que, sur 368 criminels de Philadelphie, 116 seulement l’étaient par nature. 137 par accident et 115 par relâchement de mœurs. Remarquons qu’il faut additionner ces deux derniers chiffres pour avoir la somme des influences sociales. Un peu plus loin, Lombroso se contredit en évaluant à 60 p. 100, dans l’ensemble de la criminalité, le contingent du criminel d’habitude, non de naissance, qui est simplement, suivant sa classification, une des trois variétés dans lesquelles il subdivise le criminel d’occasion. — Les deux autres variétés sont le pseudo-criminel, qui commet des forfaits soit artificiels, soit absous ou commandés par la coutume et est, au fond, un fort honnête homme, et le criminaloïde, que je ne parviens pas, je l’avoue, à distinguer du criminel de passion, ou du précédent. Entre l’influence de la coutume qui est toute-puissante sur le pseudo-criminel, marchand de vin fraudeur ou politicien menteur, et celle de la profession qui subjugue le criminaloïde, je ne vois pas trop la différence. L’un et l’autre sont des criminels d’imitation. Dans cette catégorie cependant faut-il ranger, avec Lombroso, ces officiers espagnols qui, à Cuba, « il y a peu d’années encore, se faisaient servir à table des plats d’oreilles de prisonniers, et fusillaient les spectateurs au théâtre » par divertissement militaire ? L’auteur ne nous dit pas où il a puisé ce document extraordinaire (p. 403).

Quoi qu’il en soit, il est clair que, lorsque la condition interne du délit est le fruit, non de l’hérédité principalement, mais de l’éducation dans le large sens du mot, c’est-à-dire de l’imitation sous toutes ses formes, l’épilepsie n’a rien à faire ici. Mais Lombroso ne l’entend pas ainsi ; il a, dit-il, découvert 4 épileptiques parmi ses 43 délinquants d’occasion, et là-dessus il triomphe, je ne vois pas trop pourquoi. S’il était vrai, comme il le suppose, que tous ou presque tous les enfants eussent à traverser une phase de criminalité temporaire, et que tout le miracle de l’éducation consistât à fixer cette phase ou à précipiter son remplacement quand elle peut être remplacée, je comprendrais sa thèse, puisque l’épilepsie a pu être appelée la maladie de l’enfance. Mais cette origine infantile du délit est aussi conjecturale que son origine atavique. L’idée qui lui sert de guide est, en somme, que tout crime suppose la préexistence d’un