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germe criminel inné, et qu’à défaut de cette prédestination organique plus ou moins accusée, nulle damnation criminelle ne saurait avoir lieu malgré toutes les tentatives du dehors. Malheureusement pour cette idée, l’éducation et limitation, qu’on dit impuissantes, paraissent l’être à détruire les instincts pervers bien plus qu’à les susciter. Jamais, j’en conviens sans peine, elles ne feront d’un criminel-né un honnête homme ; la faveur du sort pourra tout au plus en faire un de ces criminels latents ou impunis qui exercent en haut lieu ; mais elles peuvent faire d’un honnête homme un criminel d’occasion d’abord, puis d’habitude enracinée, et ce dernier, parvenu à un certain degré, n’est point discernable du criminel-né, comme le reconnaît Lombroso[1](p. 431). Je puis citer l’exemple, que je lui emprunte (p. 430), d’une bande d’assassins composée de dix frères ou sœurs ; seule la plus jeune des sœurs, toute enfant (que devient ici la criminalité infantile ?) se refusait à voler et à verser le sang ; mais contrainte par force à suivre ses parents, elle en arriva à être avec le temps la plus féroce d’eux tous.

A ce propos, je ne puis m’empêcher de remarquer une fois de plus la fécondité de cette force sociale de l’imitation, qui se traduit par les effets les plus opposés. À son premier pas dans le crime, l’égaré a rompu momentanément avec son misonéisme ordinaire, il a innové, comme l’inventeur ; mais, aussitôt après, il retombe fatalement sous le poids de l’habitude et de la coutume, à cela près qu’il s’agit d’une habitude nouvelle et d’une coutume différente, circonscrite au petit monde de la haute ou basse pègre. Ainsi, la même cause qui nous retient sur la pente de la première faute, à savoir l’obéissance à l’habitude et à la coutume, l’imitation de nous-même et de notre milieu, nous conduit à récidiver, une fois la première faute commise. La raison pour iaquelle les honnôûtes gens restent honnêtes est la même pour laquelle les délinquants sont récidivistes. Cette progression des récidives, si souvent signalée de nos jours et si frappante, est donc une des meilleures contre-épreuves de mon principe sociologique. J’admire avec quelle simplicité s’opère ainsi dans nos sociétés cette loi de ségrégation qui s’étend à la nature universelle.

Lombroso est très intéressant à lire sur le criminel latent, honnête par accident, ou en apparence, contre-pied du criminel d’occasion, et sur le criminel impuni. Dans la première classe il range

De cette indiscernabilité il conclut, non qu’il a pu se tromper en rattachant ta criminalité native à une cause morbide, à l’épilepsie, mais que l’habitude criminelle a pour effet de rendre fous, et quasi épileptiques, les malfaiteurs « comme la toute-puissance, les despotes. » Il y a un peu de vrai.

  1. De cette indiscernabilité il conclut, non qu’il a pu se tromper en rattachant ta criminalité native à une cause morbide, à l’épilepsie, mais que l’habitude criminelle a pour effet de rendre fous, et quasi épileptiques, les malfaiteurs « comme la toute-puissance, les despotes. » Il y a un peu de vrai.