Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVIII, 1889.djvu/475

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
465
G. TARDE.le crime et l’épilepsie

les politiciens[1]. « Assez souvent c’est la politique, la lutte sociale, comme parfois la religion, qui sert de soupape de sûreté et encore plus de vernis aux tendances criminelles, grâce au moindre misonéisme qui incline le criminel plus que l’honnête homme à accueillir les nouveautés » (p. 433). On s’explique ainsi pourquoi des hommes qui présentent « le type criminel très caractérisé et des anomalies névropathiques très marquées », non seulement n’ont commis aucun délit de droit commun, « mais encore sont dévoués avec une abnégation extraordinaire aux factions politiques ». On s’explique aussi bien en vertu de quelle affinité profonde les détenus politiques se sentent souvent attirés dans les prisons, comme l’a observé l’un d’eux, vers les détenus ordinaires. Du reste, il leur arrive souvent de franchir le Rubicon du délit vulgaire. Dans l’histoire de nos révolutions françaises, des troubles irlandais, des anciennes émeutes de Florence, notre auteur compte les hommes d’État qui ont été voleurs, assassins, stupratori, et longue en est la liste. La plupart des conspirateurs ou des réformateurs lui paraissent atteints d’épilepsie politique. Heureux malfaiteurs, au demeurant ! Ils narguent la justice. « Dans l’état de vraie oligarchie avocatesque où se trouvent les sociétés européennes, la dénonciation de leurs méfaits tournerait au détriment de l’accusateur ; moi-même, je ne puis dénoncer quelques complices ou chefs notoirement connus de certaines camorres, et notamment un collègue qui m’a volé enfant, jeune homme, homme mûr, et qui a tous les caractères du criminel-né[2], sans courir un réel danger. » Il est consolant de penser que la France n a pas le monopole de ces sortes de gens. Inutile d’ajouter que, chez ces criminels-là comme chez les autres, le savant criminaliste découvre « un substrat épileptoïde ».

Notre revue de délinquants est enfin terminée. Quelle sera notre conclusion ? Lombroso, nous croyons pouvoir le dire, n’a pas prouvé sa thèse. Mais, en le lisant, on a le sentiment qu’il tourne autour d’une vérité. Je n’ai pas la prétention de la dégager entièrement. Il est cependant un aspect de cette inconnue qui me semble se laisser entrevoir çà et là, et dont la notion m’est suggérée par les explications finales de l’auteur sur la nature de l’épilepsie. Il était bien temps, à dire vrai, qu’il s’expliquât à ce sujet. Il acquiesce (p. 450) à la définition qu’en donne Venturi, et qui ne manque ni de pro-

  1. Il y range aussi, chose étrange, nombre de savants, qui seraient souvent des criminels déguisés ou transformés. Mais les preuves apportées sont vraiment si faibles qu’il n’y a pas lieu d’insister.
  2. Je soupçonne que Lombroso pensait à ce collègue quand, se hâtant un peu trop de généraliser, selon son penchant, il a vu dans une grande catégorie de savants autant de criminels déguisés.