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fondeur ni surtout de largeur. Le tempérament épileptique, suivant Venturi, c’est simplement le tempérament outrancier, excessif en tout, en bien comme en mal ; « aux mouvements, à la sensation, à l’émotion, à la rougeur, aux larmes, au jugement de la personne normale, correspondent les convulsions, l’hallucination, l’épouvante, la fureur, la congestion, la bouche écumante, le délire de l’épileptique » ; ici et là, c’est la même vie nerveuse, plus ou moins fortement exprimée. Ce point de vue est acceptable si l’on observe, avec le même écrivain, que, chez les sujets les plus sains, une excitation brusque et forte peut donner lieu à des manifestations de colère, de peur, de jalousie, d’érotisme, assez semblables à des accès d’épilepsie, et tendant comme ceux-ci à se reproduire plus tard spontanément dans des circonstances propices. — Comme cela est vrai ! Qui de nous n’a ressenti au cours de sa vie quelqu’une de ces fortes secousses du cœur, de ces perturbations à fond, motivées à l’origine, mais plus tard renaissantes d’elles-mêmes et sous le plus léger prétexte, comme si leur empreinte dans l’intervalle avait subsisté en nous ? Un cheval, jusque-là tranquille, qu’une ombre ou une pierre blanche a épouvanté au crépuscule, se cabre dès lors, de temps en temps, à la même heure, devant un fantôme intérieur. Ne peut-on pas dire que, depuis ce jour, il est devenu épileptique ? Un accès de passion quelconque fixé en un cliché cérébral distinct serait donc un commencement d’épilepsie. L’épilepsie, en ce sens, ne serait que la passion stéréotypée en quelque sorte.

Or, je n’ai pas besoin de faire remarquer que, même entendue ainsi, l’épilepsie n’explique pas suffisamment le crime, puisqu’elle explique aussi bien son contraire, et il est visible, en tout cas, qu’elle en serait l’explication sociale aussi bien que naturelle. On peut dire aussi qu’en s’élargissant à ce point le cercle de l’épilepsie s’est tout à fait déformé. Il en subsiste pourtant un caractère essentiel et instructif à considérer : l’intermittence, la périodicité. Sans l’épilepsie proprement dite, l’importance de ce caractère, commun à tous les phénomènes psychiques il est vrai, mais en elle plus marqué qu’en nul autre, aurait pu ne pas nous frapper. Mais par elle nous pouvons apprendre qu’il y a en nous beaucoup de roues invisibles en train de tourner à notre insu pour faire détendre périodiquement quelque ressort terrible, pour faire éclater quelqu’une de ces substances explosibles intérieures que nous portons sans le savoir. Ces rotations innombrables et incessantes, qui sont la vie inconsciente de nos souvenirs, de nos désirs, de nos sentiments latents, la répétition continuelle de tout ce qui est entré une fois en nous par voie