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G. TARDE.le crime et l’épilepsie

d’impression accidentelle, s’accomplissent dans l’intérieur de nos cellules cérébrales. C’est grâce à ces tournoiements sans fin, multipliés et enchevêtrés, que parfois des rencontres ont lieu, d’où jaillissent des actes inattendus d’audace ou de perversité, des traits de folie ou de génie, qui nous étonnent nous-mêmes ; comme c’est grâce aux gravitations compliquées des astres que s’opèrent leurs conjonctions, d’où résultent des éclipses ou des moments de sublime éclat. Tout est périodique dans le moi, normal ou non, et les idées ou les velléités maladives ne sont pas les seules qui tendent à se répéter sans être appelées ; mais ce sont celles qui y réussissent le mieux et le plus irrésistiblement. Si raisonnables d’ailleurs, si exempts de toute névrose que nous puissions être, nous ne pouvons-nous empêcher de graviter dans une ellipse de pensées, d’actions, d’émotions, qui se rééditent de jour en jour, de saison en saison, de circonstances en circonstances analogues. L’espèce de tristesse enchantée et poignante, toujours la même, que ramène invariablement dans beaucoup d’âmes le retour du printemps et qui les force alors à suspendre tout travail, a ses sources dans des chagrins d’amour de leur première jeunesse, oubliés et confusément ressuscitants avec accompagnement d’autres réminiscences décevantes, harmoniques de cette note et timbre de ce son. Cela forme un concert spontané du cœur, une sorte d’orgue de Barbarie interne, plaintif et déchirant, qu’il est impossible d’arrêter. Certaines dispositions à la joie, sans cause apparente, qui durent pendant des semaines, s’expliquent par la résurrection vague d’anciens bonheurs. Mais il est aussi chez les malheureux qui ont souffert de grandes privations, de grandes humiliations, de mauvais traitements, dans leur enfance ou leur jeunesse, des jours où gronde en eux une sourde colère inexplicable, un besoin confus de haine et de vengeance, une envieuse cupidité. Et si, en de tels moments, quelqu’un les offense ou quelque proie les tente, un homicide, un incendie, un vol pourront être la suite de cette fatale coïncidence. Et puis, le crime une fois fait, il y aura des jours, des mois où une sorte d’appétit criminel, indéterminé et inassouvissable, leur reviendra on ne sait pourquoi ; car le crime imprime caractère, et, comme il n’est pas de sensation plus forte que celle-là, il n’en est pas qui se fixe en un cliché plus profond.

Mais, précisément parce que la périodicité dont il s’agit s’étend au monde entier de notre conscience et de notre inconscience, il ne suffit pas de la constater, de la découvrir là où elle est moins marquée, par analogie avec les phénomènes où elle l’est le plus, pour avoir le droit de juger l’individu irresponsable de ce qui appa-