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écrivain russe, qui avait pris l’habitude dans ses voyages en Sibérie de boire beaucoup d’eau-de-vie (de grain). Bien qu’il n’eût jamais été ivre, il absorbait néanmoins tous les jours une quantité considérable d’eau-de-vie (je dois faire remarquer que l’abus des boissons alcooliques est une des causes les plus fréquentes de la névrite multiple).

Les amis du malade finirent par remarquer que sa mémoire devenait plus faible, si bien qu’il fallait lui rappeler ce qu’il devait faire ce jour-là ou un autre ; cependant, il continuait ses travaux et ne cessait de faire paraître dans différents recueils des nouvelles intéressantes et originales. Outre l’affaiblissement de la mémoire on observa encore que sa démarche devenait moins assurée. Cela dura jusqu’au 25 juin 1884. Ce jour-là, le malade se sentit mal et diminua brusquement la quantité d’eau-de-vie qu’il absorbait. Ceux qui l’entouraient croyaient qu’il oubliait de boire, tout bonnement, car il n’avait pas expliqué la raison pour laquelle il buvait moins. Il dormit mal la nuit du 25 au 26 ; il était agité, inquiet, faisait souvent les mêmes questions, demandait qu’on restât près de lui. Le lendemain cet état continua, mais l’agitation devint plus forte ; l’affaiblissement de la mémoire augmenta également. Il était évident que le malade avait perdu la faculté de se rappeler ce qui venait d’avoir eu lieu ; il oubliait ce qu’on venait de lui dire, ce qui faisait qu’il avait des disputes avec ceux qui l’entouraient ; la nuit il ne dormait pas, semblait avoir peur de quelque chose.

Je le vis le 30 juin. Les principaux symptômes qui attiraient l’attention se rapportaient à l’activité psychique. Voici ce que j’observai :

Le trouble de la mémoire était nettement visible. Le malade oubliait complètement ce qui lui était arrivé récemment ; il ne pouvait dire s’il avait mangé ce jour-là, si quelqu’un était venu le voir. Ce qui venait de se passer cinq minutes auparavant, il ne pouvait s’en souvenir et lorsqu’on le lui rappelait il était prêt à disputer et à affirmer que cela n’avait pas eu lieu. Parfois, il accordait qu’il pouvait l’avoir oublié, parce que j’ai toujours eu une très mauvaise mémoire », disait-il.

Ce qui s’était passé bien avant la maladie, le malade s’en souvenait parfaitement et en donnait des détails ; mais tout ce qui avait eu lieu vers le commencement de la maladie, le malade se le rappelait confusément. — Ainsi, par exemple, il avait commencé une nouvelle au mois de juin et en avait déjà écrit plus de la moitié, et, à cette heure, il ne se souvenait plus du dénouement qu’il avait voulu lui donner. — En outre, il avait reçu dans le courant de juin plusieurs lettres importantes qui venaient de différentes rédactions. Mais il ne