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montrent ce vocalisme allant de plus en plus en s’amincissant, on fit un dogme du principe contraire, sur la principale autorité d’un système datant de plus de deux mille ans et émanant d’observateurs dont le moindre souci avait été d’établir une filiation entre les formes dont ils avaient reconnu et mis en relief les analogies.

Ce qui s’est passé à cet égard pour le vocalisme a eu son pendant exact en ce qui concerve la dérivation. Toute cette partie de la grammaire analytique est fondée, comme on le sait, dans la pratique actuelle sur la conception des racines et des suffixes. Or, ici encore, les observations empiriques des anciens grammairiens hindous ont été prises pour ce qu’elles n’étaient pas, pour ce qu’elles ne se proposaient pas d’être, pour ce qu’elles ne pouvaient pas être, c’est-à-dire pour la résultante de vues profondes et justes sur la nature intime des choses du langage. Nous nous rendrons facilement compte de la valeur réelle et de la véritable portée de ces observations en examinant, ce qui est chose facile, la manière dont elles ont été faites.

On remarqua de bonne heure dans les écoles brahmaniques, dont la perpétuité de la tradition orale des textes sacrés était le principal souci et la principale raison d’être, que ces textes étaient composés de mots qui pouvaient se grouper en familles, c’est-à-dire constituer des séries dans lesquelles une même signification fondamentale correspondait à une partie commune — sauf quelques variations régulières à tous les mots de la série. C’est ainsi que, dans les formes bhâr-as, fardeau, bhar-âmi, je porte, bhr-tas, porté, il était facile de reconnaître un sens général commun — l’idée de porter — ; puis, se rapportant spécialement à ce sens, des parties bhâr, bhar ou bhr, dont les différences n’étaient autres que celles que le vocalisme présente dans ses trois gradations habituelles.

On voit sans peine combien cette remarque était précieuse et féconde au point de vue de la mnémotechnie lexicologique ou grammaticale des textes védiques ; elle l’était d’autant plus que l’on constata en même temps que tel degré vocalique, dans la partie commune aux familles de mots dont il s’agit, correspondait d’une manière généralement régulière à la nature des parties finales destinées avec la gradation vocalique à spécifier ces mots au double point de vue de la forme et du sens — à savoir, as dans bhâr-as, âmi dans bhar-âmi, tas dans bhr-tas. À ces parties, en effet, s’attache un sens secondaire particulier en vertu duquel bhâr-as est un substantif concret, bhar-âmi un verbe à la première personne du singulier de l’indicatif présent actif, et bhr-tas un participe passé. Remarquons bien d’ailleurs que cette nouvelle observation avait une portée mnémotechnique non moins considérable que la précédente, attendu que si la partie