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d’une manière en accord à la fois avec les faits observés et la bonne logique que les choses ont dû se passer autrement.

Il nous suffira pour entrevoir un système tout différent d’admettre — d’une part — qu’avec les pronoms, l’adjectif et le substantif concret sont les plus anciens éléments du langage, et que la combinaison de ces trois parties fondamentales du discours, surtout après la création des flexions casuelles, pouvait dispenser du verbe ; et — d’un autre côté — que les suffixes de tous genres ont pris naissance par le transport de la partie finale des monosyllabes primitifs qui constituaient la couche initiale des pronoms, des adjectifs et des substantifs dont nous venons de parler, à certaines de ces mêmes formes qui par là se sont élargies, ou ont donné naissance à des dérivés. En un mot et pour prendre des exemples dans le latin, des pronoms comme quis, is, tu, etc. ; des adjectifs verbaux comme —fex, —dex, —ceps, —ger, etc. ; des substantifs concrets comme lux, vox, nox, dens, pes, etc., ont pu, au moyen du transport analogique en question, amener tout le développement de la dérivation indo-européenne. Il est bien entendu, ajoutons-le, que les exemples donnés ne représentent qu’imparfaitement les primitifs que nous avons en vue, car beaucoup de ceux-ci se sont perdus et la totalité a vu modifier son ancien aspect à la suite d’altérations phonétiques inévitables.

En partant de là, la racine n’est plus une abstraction morphologique qu’on n’isole qu’artificiellement et à l’aide d’une véritable dissection ; ce n’est pas davantage un élément significatif aux nuances multiples et vagues servant primitivement à l’expression de toutes les catégories grammaticales. Nous en retrouvons les deux aspects — la forme isolée ou le primitif, la forme munie de suffixes et insérée dans le dérivé — côte à côte dans —dic-us, dic-o, le génitif dic-is, etc., auprès de dex ; et la première apparaît dans un rôle significatif réel qui nous donne l’explication de celui qu’elle a revêtu à l’aide des suffixes qui l’accompagnent ailleurs.

Maintenant pourquoi, si le primitif est la racine même du dérivé, et si celui-ci n’est autre que celui-là accompagné d’un ou de plusieurs suffixes, n’extrait-on pas la racine ou le primitif en l’isolant purement et simplement du suffixe, comme le faisaient les grammairiens de l’Inde ancienne et comme on le fait encore d’après eux dans l’école de Bopp ?

Constatons d’abord que, dans un assez grand nombre de cas, la racine artificiellement déduite selon les procédés de Pânini est identique, ou peut être considérée comme telle, à la véritable racine ou au primitif. Il en est ainsi en sanscrit de diç, deç, dans diç-ati, deç-as auprès du substantif primitif diç ; les exemples analogues sont assez nombreux.