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P. REGNAUD.l’idée de racine et de suffixe

Parfois aussi il y a lieu de supposer la perte d’un primitif semblable à la partie radicale que l’analyse détache des dérivés ; ainsi le latin -fer laisse présumer qu’il en a été ainsi d’un correspondant sanscrit bhar identique à la racine bhar des grammairiens. Mais dans la plupart des cas les primitifs ont subi par le seul fait de l’adjonction des suffixes, ainsi que les suffixes eux-mêmes, surtout quand un second suffixe est venu en quelque sorte les doubler, des modifications phonétiques qui en ont altéré la physionomie primitive au sein des formes complexes dont ils sont devenus une partie constitutive. Là est la principale cause de la différence que présente, par exemple, en latin le primitif dex avec la racine dic dans dico, dictus, etc. Il faut ajouter d’ailleurs que dex lui-même, qui ne s’emploie qu’en composition (in-dex, ju-dex, etc.), a subi de son côté des changements phonétiques qui ont rendu l’écart plus considérable entre les deux formes.

Cet exemple suffit pour faire voir à quelles erreurs de phonétique on s’est exposé quand au lieu d’expliquer dic par -dex, comme l’exigeait le rapport chronologique des deux formes, on s’est efforcé au contraire de rendre compte de -dex par dic. L’une des conséquences de cette méthode à rebours a été de faire croire à l’existence d’un suffixe s du nominatif singulier qui n’est qu’une fiction grammaticale.

Ainsi, non seulement l’analyse empirique des Hindous a conduit à l’hypothèse de l’agglutination, laquelle à son tour a nécessité celle des anciennes racines isolées à valeur grammaticale vague dont le caractère arbitraire et les difficultés logiques sautent aux yeux, mais de plus elle a contribué à fausser l’explication de phénomènes phonétiques importants en forçant de partir, à l’encontre de la méthode rationnelle, du dérivé ou du modifié pour rendre compte du primitif ou de la forme, sinon absolument pure, du moins telle à l’égard de celles qui en sont issues.

On voit par là à quel point et pour quelles causes l’économie entière des langues indo-européennes, au point de vue de l’évolution et de la structure logique et phonétique sur laquelle elle repose, a été mal comprise par les écoles allemandes de l’ancienne et de la nouvelle grammaire, qui se réclament plus ou moins directement de Bopp.

À notre avis et pour les raisons qui viennent d’être exposées, toute la linguistique indo-européenne est à reconstituer sur de nouvelles bases et nécessite un travail de refonte dont la première condition de succès est l’abandon de l’hypothèse de l’agglutination.

Est-ce à dire que la classification des racines et des suffixes d’où