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représenté est sensitif par quelque côté, d’où il suit que toute attention implique des sensations ; mais il ne s’ensuit pas que l’attention soit elle-même une sensation, encore moins une sensation périphérique, ni que l’effort d’attention soit une répercussion venue de la périphérie. Au reste, M. Ribot reconnaît lui-même, après toutes les explications précédentes relatives aux muscles, qu’il « reste un point obscur ». En effet, dit-il, lorsque nous passons de l’état ordinaire à l’état d’attention, il se produit une augmentation de travail. Dans le passage de l’état de distraction à l’état d’attention, il y a donc « transformation de force de tension en force vive, d’énergie potentielle en énergie actuelle. Or, c’est là un moment initial très différent de celui de l’effort senti, qui est un effet. Je fais cette remarque en passant. » À notre avis, cette remarque incidente porte sur l’essentiel et ébranle la théorie tout entière. Le moment initial, répondant au passage de l’énergie potentielle à l’énergie actuelle, est précisément la volition, la tension du désir dominant, l’attention véritable. Et c’est là, là seulement, qu’est la conscience de l’activité. Le prétendu « effort senti » n’est que la sensation des résistances ultérieures, des efforts contraires au nôtre et différents du nôtre. La conscience de l’action répond au moment initial, celle de la passivité ou de la résistance subie répond aux sensations venues des muscles. L’attention musculaire n’est que l’attention ayant rencontré une résistance et se réfléchissant sur soi par l’effet de cette résistance même. L’attention, lorsqu’elle se mesure ainsi elle même à un obstacle devient plus claire, plus distincte, plus différenciée ; mais il n’en résulte pas que toute l’activité de l’attention se ramène à la répercussion de l’obstacle : n’eussions-nous conscience distincte de notre énergie que devant une résistance, il ne s’ensuivrait pas que toute notre énergie se réduisît à la passivité produite par cette résistance.

III. — Une fois admise la conscience de l’énergie déployée, il importe de s’en faire une idée exacte. Nous n’avions pas, comme l’a cru Maine de Biran, conscience immédiate de l’énergie en tant que motrice, mais simplement en tant que mentale, c’est-à-dire en tant qu’effort de volonté pour produire un changement d’état. L’effort mental s’accompagne : 1o d’une détente cérébrale dont j’ai un sentiment particulier (sentiment d’effort cérébral), 2o d’un courant centrifuge à travers l’organisme dont je n’ai pas conscience, 3o de mouvements dans les muscles qui ne me sont connus qu’ultérieurement par un ensemble de sensations afférentes, lesquelles ont pour cause des résistances musculaires et forment un certain dessin représentable dans le cadre de l’étendue.