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A. FOUILLÉE.le sentiment de l’effort

Maine de Biran imagine une « connexion causale immédiatement aperçue entre l’action de la volonté et la sensation musculaire » ; mais, si j’apercevais entre mes actes intérieurs et les mouvements de mes membres autre chose qu’un simple rapport de succession je ne distinguerais nullement mes organes de moi-même : les sensations qu’ils produisent en moi me sembleraient l’effet immédiat de ma seule action et le prolongement de mon action même. Si je voyais réellement en moi, non pas une simple succession entre l’action et les signes sensibles du mouvement, mais une action vraiment motrice des muscles, liée au mouvement local par le lien intime de la cause à l’effet, les sensations m’apparaîtraient comme enveloppées dans mes actes et développées par eux, sans le concours d’aucune action étrangère à la mienne.

De même, en quel sens peut-on dire, avec M. Ribot, que « les mouvements font partie intégrante des états de conscience, qui, sans eux, disparaissent ou changent de caractère[1] » ? que « le mouvement est dans la conscience même, dans la notion intime du fait psychique » ? — Ce n’est pas en tant que simple changement de relation dans l’espace entre des atomes inertes que le mouvement peut être « dans la conscience même » ; le mouvement, ainsi conçu sous une forme à la fois abstraite et imaginative, c’est-à-dire en somme imaginaire, ne peut faire « partie de la conscience » qu’à titre de représentation, de conception incomplète formée par elle. Ce qui existe dans la conscience, c’est le principe réel du mouvement, son fond interne, c’est-à-dire une action ou réaction ayant pour conséquences des changements intérieurs et des changements locaux. Quant à l’image des mouvements effectués, c’est une représentation de la mémoire, qui encore a besoin d’être interprétée : nous l’interprétons précisément au moyen de cette conscience d’action et de réaction qui seule peut vivifier l’image morte, la figuration immobile des moments successifs d’un mouvement photographiés par le cerveau. C’est donc, non pas seulement par la sensation, mais par la conscience de la réaction, de l’appétit, de la vie, que nous arrivons à la représentation complète et vraiment dynamique du mouvement. Dès lors, le mouvement ne fait « partie de notre conscience » que de deux manières : 1o par son principe actif, qui est l’appétit, le vouloir, avec l’effort de la volonté contre l’obstacle (élément dynamique) ; 2o par la représentation ou souvenir des positions successives dans l’espace qui constituent le mouvement effectué (élément statique).

  1. Revue philosophique : Rôle psychologique des mouvements, mars et avril 1879, p. 11.