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IV. — En résumé, nous accordons que le sentiment d’effort musculaire est un sentiment afférent. Nous accordons que ce sentiment d’effort musculaire est toujours mêlé aux autres sentiments, parce que, dans notre organisation actuelle, toutes nos opérations cérébrales finissent par intéresser quelque muscle. Mais le sentiment d’effort mental et celui d’effort cérébral ne sont pas pour cela uniquement celui d’effort musculaire ; ils ne sont pas composés de sensations uniquement périphériques. L’effort mental est encore moins, comme le croit W. James, l’action d’un esprit prononçant des fiat dans un monde supérieur au mouvement et consentant à la réalisation d’une pure idée. Il enveloppe, outre les sensations centripètes, quelque chose d’analogue au sentiment centrifuge d’innervation admis par Wundt. Ce sentiment est d’origine cérébrale. Il correspond à un déploiement d’énergie, au départ d’un courant centrifuge : et c’est le départ seul ou la décharge, non le courant même, qui est senti. Enfin, le déploiement d’énergie n’est pas une création d’énergie ni une direction libre d’énergie ; il est physiquement le passage d’un mode d’énergie à un autre, de la force de tension à la force de translation ; psychologiquement, il est le passage d’un conflit d’idées et de désirs à une détermination. Il y a donc déterminisme psychique et physique tout ensemble ; mais le moteur intime et le grand ressort du déterminisme, qui est la volonté tendant à son plus grand bien, se révèle à lui-même dans la conscience sous la forme d’une activité s’exerçant contre des résistances, selon certaines lois déterminées. Le sentiment d’effort est un composé de cette conscience de l’action et des sensations de résistance.

La vie psychique, comme la vie physiologique, est un travail, une lutte, un effort continuel ; l’effort musculaire n’en est que l’expression dernière et la plus visible ; les physiologistes qui placent tout effort dans les muscles ressemblent à ces paysans qui s’imaginent que le penseur ne travaille pas parce qu’il ne remue point les bras et les jambes pour piocher la terre. La conscience d’action exercée, comme celle d’action subie, est la conscience même de la vie et de l’existence. Vivre, penser, vouloir, c’est se sentir mû et mouvant, poussé et poussant, pressé et pressant, agi et réagissant ; vivre, c’est lutter comme le nageur qui, au milieu d’une mer tantôt calme, tantôt orageuse, doit toujours tendre sa volonté, ses nerfs et ses muscles, pour maintenir au-dessus des flots sa tête vivante, pour ne pas tomber, corps mort, au fond de l’abîme.

Le sentiment de la réalité, qui accompagne tout état de conscience, vient de ce qu’il y a indivisiblement dans tout état, outre le