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F. PAULHAN. l’art chez l’enfant

mélange de sentiments artistiques et d’autres sentiments, je ne voudrais pas d’ailleurs le nier, mais le fait cité ne l’établit peut-être pas assez nettement.

On pourrait faire la même objection à bien des faits de ce genre. Je connais un petit enfant de moins de quatre ans qui, à la campagne, se plaisait à faire admirer les couchers du soleil ; malheureusement je suis presque convaincu que son admiration n’était en grande partie qu’un reflet de celle qu’il avait entendu exprimer à de grandes personnes, et qu’il prenait plaisir à imiter. Sans doute, il pouvait bien y avoir chez lui une sensation visuelle agréable ; mais toute sensation agréable est-elle esthétique ? M. Pérez ne l’admettrait sans doute pas, et il voit bien la complexité un peu incohérente des sentiments de l’enfant : « Au point de vue intellectuel comme au point de vue émotionnel, dit-il, le sentiment de la nature est en somme très limité chez un jeune enfant. Le beau uni au bon s’y confond pour lui, s’y évanouit la plupart du temps. Il est trop avide de sensations utiles à son développement d’ensemble, et trop oublieux du passé pour s’arrêter à l’impression séparée du beau, pour jouir de son idéal, pour rêver éveillé. »

En somme, l’enfant est devant la nature, devant tout ce qui s’offre à ses yeux un peu comme une grande personne à qui on montre une chose qu’elle ne connaîtrait pas, elle a un certain plaisir dû à l’excitation des sens, de la pensée, elle a une certaine confiance dans ce qu’on peut lui dire sur la beauté de l’objet, elle pourra croire de bonne foi qu’elle admire, alors même qu’elle ne comprendra rien à ce dont il s’agit. Comparez son état mental avec celui d’un véritable connaisseur, vous aurez la différence qui sépare le plaisir artistique pur, chose rare d’ailleurs, de cette émotion vague, faite de curiosité, de sympathie, d’imitation, d’imagination flottante, d’amour-propre flatté ou qui craint de trahir de la maladresse, etc. Cependant entre les deux émotions il n’y a que des différences de degré ; on commence parfois par la seconde pour aboutir à la première, il suffit pour cela qu’elle se développe et s’épure. Il me semble que l’on peut suivre ainsi chez l’homme ou chez l’enfant, l’origine et le développement de l’idée et du sentiment du beau. M. B. Pérez n’a pas traité directement cette question, mais il a fourni et étudié des faits qui peuvent aider à la résoudre, ou au moins à en parler.

Les philosophes de l’école expérimentale anglaise ont pensé, en empruntant partiellement cette idée à Schiller, que l’art était une sorte de jeu. L’activité esthétique serait une sorte d’emploi de facultés inoccupées pour le moment, de tendances inassouvies qui veulent être satisfaites et se manifestent par certains actes :