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quelque vérité dans mes rêves d’enfant. Un de mes amis me racontait que jouant avec un petit enfant, il entrait complètement dans la fable inventée par celui-ci, il jouait même si bien son rôle que l’enfant dit à une tierce personne : « Il est drôle, il croit tout ce qu’on lui dit. » Certains enfants n’aiment pas qu’on prenne trop au sérieux leurs imaginations ; j’en connais un qui, si l’on fait mine de participer un peu trop à ses idées, a bien soin de nous dire que « c’est pour rire », il aime que ce point soit bien établi, et je me souviens bien d’avoir éprouvé jadis des sentiments analogues. Même chez ceux qui ont moins de scrupule ou de souci de la vérité, ou qui sont doués d’une imagination plus vive, je ne sais si « l’hallucination véritable » est bien fréquente.

Si la rêverie peut devenir une œuvre d’art, elle devient aussi facilement un jeu, et ces transformations nous montrent l’analogie des trois états. L’enfant qui rêve aime souvent à disposer les objets extérieurs de manière à les faire entrer dans son rêve ; il agit de même à l’égard des grandes personnes, il aime à leur donner un rôle dans sa pièce, mais il veut, en général, qu’on le joue exactement comme il l’entend : c’est que le jeu pour lui n’est pas l’œuvre d’une collaboration, c’est la mise en scène du rêve qui hante son cerveau, mise en scène infidèle, mais qu’il interprète comme il l’entend, et c’est parce que la part faite à l’interprétation est considérable que le moindre changement le déroute et le choque.

C’est pour cela encore que les joujoux informes sont souvent ceux qui conviennent le mieux à l’enfant. Ils sont une matière que l’imagination pétrit à son gré. Avec des morceaux de bois de dimensions différentes, un enfant s’amuse merveilleusement, ces morceaux de bois se prêtent à toutes les incarnations, ils sont indifféremment des oiseaux, des hommes, des locomotives, des bateaux, les éléments d’un palais, etc. Inversement les joujoux bien construits, savamment combinés, sont bons spécialement à être brisés et ramenés à des éléments plus simples, à moins qu’ils ne servent, ce qui arrive, à amuser les parents.

Sans doute, tout cela n’est pas artistique, cependant il y a dans ces sentiments divers plusieurs éléments esthétiques qu’il ne faut pas négliger. D’abord l’activité psychique déployée par l’enfant est une activité relativement coordonnée, les rêves qu’il fait sont des combinaisons, les pays, les objets qu’il imagine sont au moins capables de plaire à ses yeux, à ses sentiments. « Je plaçais là (au bord de l’Adour), dit une des personnes qui ont communiqué leurs souvenirs à M. Pérez, et dans un petit château attenant à notre parc, que je fus admise à visiter vers l’âge de huit ans, toutes les histoires,