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ligunt ipsis indidit. Voilà la formule de l’automatisme, de l’animal-machine.

Avant de passer aux opérations de l’intelligence, l’auteur veut examiner quelques propositions d’Aristote, lequel paraît avoir hésité à se prononcer sur l’âme des bêtes. Pour lui, il refuse aux animaux la faculté de juger, de sentir et de connaître, privantes bruta ab omni assertione, indeque ab universa cognitione et sensatione. Après cette déclaration, il allègue force textes d’Aristote favorables à sa thèse, en montrant une fois de plus combien était sujet à se contredire celui dont les adeptes ont fait un docteur infaillible. Il ne mériterait point le nom de philosophe, s’il n’avait appris à douter, à l’école de celui qui emprunta de Socrate le doute et l’ironie. Grâce aux dissertations académiques et aux traducteurs infidèles, on ne connaît guère que l’Aristote dogmatique du moyen âge. Mille passages de ses écrits les moins suspects attestent les hésitations et les doutes de son esprit essentiellement critique. Le traité de l’Âme, si mal interprété, est plus négatif que dogmatique. Les Problèmes témoignent à la fois de son insatiable curiosité et de son extrême réserve. C’est apparemment par là qu’il plaisait tant à Gomez Pereira, dont l’intelligence inquiète et hardie aimait à s’exercer sur tout. Aristote pense profondément, et il fait penser par sa merveilleuse aptitude à saisir les rapports des choses. Il n’est point de lecture plus féconde. Qu’on le compare à Galien, qui a régné comme lui dans les écoles, et l’on fera la différence. Notre auteur l’a faite excellemment : il lutte respectueusement avec Aristote, il jongle avec Galien. Buffon est peut-être le seul en France qui ait entrevu, deviné le génie du grand naturaliste, plus connu et infiniment mieux apprécié en Angleterre, où les plus savants s’honorent de connaître l’antiquité.

En abordant l’étude des facultés intellectuelles, notre auteur déclare ne pas partager les opinions reçues de la plupart des physiciens, des médecins et des philosophes, facultatibus inferioribus non ca munia tribuens, quae ab omnibus medicis et compluribus philosophis concedi solent.

Il traite volontiers le commun des médecins comme un servile troupeau d’empiriques, sans daigner descendre jusqu’aux charlatans.

Descendu dans l’arène, il empoigne le taureau par les cornes. Le dogme courant est que le sens commun, sensorium commune, est par rapport aux autres sens ce qu’est le centre à la circonférence. En autres termes, là se concentrent toutes les sensations, de même que tous les rayons du cercle convergent vers le centre. Après avoir fait l’exposé de cet aphorisme scolastique, il nie que le sens