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connue comme sujet des accidents ou comme universel. Reprenant la question des universaux, il entre dans une disquisition de métaphysique pure au sujet des opinions contraires des réaux et des nominaux. L’universel n’est point dans les êtres, qui sont individuels. L’universel, une fois connu, n’a d’existence que dans l’intellect. On connaît la Chimère, qui n’existe point. En somme, la confusion et l’erreur lui semblent venir d’une logomachie. C’est la nomenclature grammaticale qui a égaré les philosophes, les grammairiens s’étant servis, pour abréger, des noms du défini. C’est l’absolu des termes qui a causé le malentendu. C’est faute de s’entendre sur les mots, que se perpétue la querelle depuis Platon.

Après avoir attribué à Aristote sa part de responsabilité, il déclare qu’il n’y a point de fiction comparable à la prétendue distinction de l’être et de l’essence, et il se rit de ces arguties des métaphysiciens, lui qui ne rit pas de l’interminable nomenclature des drogues médicinales. En revanche, il se moque en philosophe du jargon pléonastique de l’École. Le commentateur d’un traité de la distinction entre l’être et l’essence admettait quatre éléments distincts dans chaque objet : la matière, la forme, l’essence, l’existence. Au lieu de réfuter ces distinctions vaines, l’auteur déclare que la distinction de saint Thomas, en ce traité, est sans valeur, et il se contente de remarquer que nous avons la connaissance abstraite de nos parents et de nos proches qui sont morts, sans qu’il faille conclure pour cela que leur être diffère de leur personne, réflexion qui ne paraît pas absolument compatible avec la croyance à l’immortalité.

Comme il a traité saint Thomas, il traite saint Anselme, dont la prétendue démonstration de l’existence de Dieu lui fait pitié, quo (defectu) lapsus est beatus Anselmus credens demonstrare Deum esse. Les conceptions délirantes des philosophes ne donnent aucune réalité à ce qui n’est point. Ceux qui avancent que les démonstrations qui dépendent des universaux sont éternellement vraies, ainsi que l’essence des choses, ceux-là font un syllogisme dont la majeure, la mineure et la conclusion ne sont vraies que sous condition.

Revenant au commentateur de saint Thomas, il lui semble que ses quatre éléments devraient être portés à cinq : essence de la matière, essence de la forme, existence des deux, soit double, soit simple, si l’on dénie l’existence à la matière ; ce qui fait trois, plus l’essence du composé, plus son existence ; total cinq au moins.

En montrant le ridicule de la distinction réelle de l’existence et de l’essence, il exécute saint Thomas sur le dos de son commentateur. L’essence de ce qui n’est pas, voilà la triomphe de cette