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GUARDIA.philosophes espagnols

distinction admirable qui donne l’ètre au non-être, par exemple, à la Chimère, à l’Antéchrist. Cervantès ne bernera pas mieux les métaphysiciens de la chevalerie, que notre auteur n’a berné les chevaliers de la métaphysique.

À quoi bon, demande-t-il, l’existence de l’essence ? in quem usum genita fuerit existentia essentiæ ? Si elle ne sert à rien, c’est donc en vain qu’elle a été créée, contrairement aux opérations de la nature, laquelle n’est pour rien dans la production des chimères scholastiques. Poussant l’adversaire au pied du mur, il veut bien lui suggérer une objection : Vous pourriez soutenir, dit-il, que l’essence est comme la matière première, et que l’existence en est la forme. Ce serait démontrer l’inconnu par le plus inconnu. Le malheur est que la matière première n’existe point ; et quand elle existerait, elle pourrait s’affranchir de la forme, comme l’essence, de l’existence. Et il le réduit à l’absurde ; mais c’est de l’absurde que vit la déraison : le délire engendre le délire, et les philosophes déraisonnent logiquement.

C’est Aristote qui a imaginé la matière première. L’auteur ne s’arrêtera pas à examiner ce dernier mode d’être de l’essence et de l’existence. Il semble que l’argumentation est épuisée. Puis, il demande brusquement si Dieu peut ou ne peut pas séparer l’existence de l’essence. La réponse négative serait une impiété contre l’omnipotence divine. Après avoir disserté sur le mode de perception des universaux, il conclut, de l’exposition précédente, que si les bêtes sentaient, elles auraient reçu la faculté de connaître l’universel. En effet, si la connaissance, chez les animaux, s’opérait selon le préjugé reçu, ils n’éprouveraient aucune difficulté à concevoir ce qui est commun à beaucoup d’individus de la même espèce ; et par conséquent on pourrait dire qu’ils connaissent l’universel. Accorder cela, ce serait déclarer que l’animal a une âme raisonnable, qu’il est responsable, et tout ce qui s’ensuit, ce qui serait le comble de la démence et de l’impiété. Et il renvoie les développements au traité final de l’Immortalité de l’âme, que l’on pourrait comparer à ces grands fleuves qui, en approchant de la mer, se perdent dans les sables.

Par une transition naturelle, l’auteur censure ensuite Porphyre, Numénius, et quiconque soutient avec eux que les âmes des bêtes, douées de sensibilité et de mémoire, sont immortelles et raisonnables. Il est ainsi amené à traiter la question de la différence qu’il y a entre entendre et sentir, quo differant intelligere et sentire. S’il l’a ajournée, c’est à l’imitation d’Aristote qui, au début du troisième livre de l’Ame, promet de consacrer ce livre à l’étude de cette