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le premier pour garant et à rejeter absolument les témoignages du second.

Il convient d’observer à ce sujet qu’en tout cas nous n’avons jamais affaire à Socrate lui-même, mais soit à Xénophon, soit à Platon, et que le premier n’est nullement sans avoir son originalité propre soit comme écrivain, soit comme penseur, qu’on peut d’ailleurs très bien le soupçonner d’attribuer à Socrate ses propres façons de voir. Mais quelques divergences qu’il y ait entre Xénophon et Platon, ils sont en tous cas bien plus éloignés encore l’un et l’autre des autres disciples qui se rattachent à Socrate. Si nous avions tous les Dialogues de l’École, peut-être pourrions-nous affirmer avec précision quelles étaient les thèses du maître, si toutefois il en avait. Mais, quand de son enseignement sont sorties des sectes aussi directement opposées que celles d’Aristippe et d’Antisthène, est-il possible de reconstituer, avec les éléments que nous possédons, les idées de Socrate en morale, par exemple ? Je crains bien que M. Sorel ne se soit trop laissé aller à l’illusion commode de retrouver le véritable portrait du maître dans les tableaux de Xénophon.

Le chapitre sur la religion de Socrate est un des meilleurs du livre. L’auteur y insiste à bon droit sur l’influence des doctrines d’Anaxagore et il fait ressortir, d’une façon assez neuve, le caractère inspiré de Socrate, la vocation qu’il croyait divine et à laquelle il obéissait. Dans un autre milieu, il eût fondé une religion ; en tous cas, il a fondé le philosophisme, tel que nous le pratiquons encore.

Les deux chapitres suivants expliquent les conditions politiques d’Athènes à cette époque, l’accusation portée contre Socrate, pour terrifier les sophistes, enfin sa condamnation. M. Sorel rend pleine justice au noble caractère de la victime ; il pense d’ailleurs que la fierté de sa défense indisposa contre lui les juges, alors que les chefs d’accusation avaient un fond de vérité incontestable.

L’appendice sur l’éthique de Socrate est une critique approfondie qui porte surtout sur le déterminisme et le principe du renoncement comme mode d’affranchissement des passions, mais signale aussi les autres points où la morale des écoles philosophiques de l’antiquité s’est trouvée insuffisante. En thèse générale, cette morale est trop individuelle ; le vrai point de vue social lui est étranger.

L’étude sur la théorie des causes est un excellent morceau, qui mériterait une discussion étendue, que je ne puis entreprendre ici. Cette étude, cependant, aurait sans doute gagné encore à être isolée et développée pour elle-même.

Sur la question de l’immortalité, M. Sorel estime que les opinions de Socrate conciliaient dans une certaine mesure l’antique croyance aux mânes (en fait une sorte de spiritisme) et la doctrine d’Anaxagore sur l’intellect actif. La survivance est considérée comme possible, sinon probable pour tous, mais non pas désirable ; l’immortalité est plutôt douteuse, les mânes devant finir par rentrer dans le fonds commun où l’intelligence a été puisée. Notre auteur explique nettement que le pro-