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tion d’une classe en possession d’une puissance dérivée d’une autre source que des domaines ou des positions officielles ; et secondement, par la production de sentiments en désacord avec les anciennes idées sur la hiérarchie des classes. Les peuples non civilisés encore existants nous offrent un exemple de cette relation. Le chef d’un kraal chez les Hottentots Koranas en est « d’ordinaire le plus riche propriétaire. » Dans la langue des Béchuanas, « le mot kosi… a un double sens et veut dire également chef et homme riche. » La faible autorité que possède un chef chinouk « repose sur des richesses, consistant en femmes, enfants, esclaves, bateaux et coquilles. » Il en était ainsi en Europe aux temps primitifs. Dans l’ancienne Espagne, le titre de ricos hombres, que portaient les barons, confondait les deux attributs. Il est évident qu’avant que le commerce se fût développé, alors que la possession du sol pouvait seule donner la fortune, le rang de seigneur et la richesse étaient en relation directe. Aussi sir Henry Maine a-t-il pu dire que « l’opposition que l’on voit communément exister entre la naissance et la richesse, et en particulier la richesse tirée d’ailleurs que de la propiété foncière, est toute moderne. Toutefois, lorsque l’industrie est arrivée à cet état où les affaires en gros rendent de grands profits, on voit des négociants arriver à des fortunes qui leur permettent de rivaliser de richesse avec la noblesse territoriale et de mener plus grand train qu’elle. Plus tard, ces négociants rendent des services aux rois et aux nobles, et acquièrent de l’influence politique ; on voit alors de temps en temps lever la barrière qui les sépare des classes titrées. En France, le progrès commençait déjà en 1271, lorsque Raoul l’Orfèvre reçut des lettres de noblesse, « les premières lettres qui conférassent la noblesse. » Le précédent, une fois établi, se répéta de plus en plus fréquemment ; et souvent, sous la pression d’embarras financiers, le roi se mit à vendre des titres, ouvertement ou par des voies détournées. En France, en 1702, le roi anoblit 200 personnes au prix de 3 000 livres par tête ; en 1706, 500 à 6 000 livres. Enfin, à cette cause qui démantèle les anciennes divisions politiques, s’ajoute comme auxiliaire l’affaiblissement de ces divisions, par suite du développement de l’esprit d’égalité que la vie industrielle encourage. Plus les hommes s’habituent par une pratique journalière a défendre leurs propres droits tout en respectant ceux d’autrui, ce qu’ils font dans toute opération d’échange, qu’il s’agisse de richesse ou de services, plus ils acquièrent la disposition mentale opposée à celle qui accompagne l’assujettissement. Dès que cette transformation est opérée, les distinctions politiques qui supposent l’assujettissement cessent de plus en plus d’obtenir le respect qui fait leur force.