Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 11.djvu/201

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
197
ANALYSESpompeyo gener. — La Mort et le Diable.

vient délivrer l’âme il recommande l’ascétisme. Valentin part de la monade indescriptible qui est l’abîme silencieux ; elle est double ; l’abîme et le silence forment l’intellect, principe de toutes les réalités. De lui et de la vérité sortent le verbe et la vie avec dix autres Eons, principes de la révélation et de l’activité, un Dieu en trente parties. La souffrance du Plerôme, non divisible par huit, crée la pensée, puis le tout. La pensée déchue s’élance vers la pensée du haut, et le Paraclet forme le monde. La morale permet le vice, car l’âme est incorruptible ; elle prêche l’accouplement. Pour les Ophites, Achamot lutte contre le démon et Jéhovah. Les Kaïnites savent gré à Judas d’avoir fait souffrir le Christ, à Sodome d’être arrivée au martyre par le vice. En reniant le Christ de la terre, on arrive jusqu’au Christ du Plerôme. La gnose fut combattue par saint Irénée, par Tertullien, qui dit : Le mal, c’est la pensée ; le bien, la soumission. Les Judeo-Chrétiens trouvent le Dieu Agathos. Origène prend l’idée de Satan tombé, Manes, de l’opposition entre la lumière et les ténèbres, et la foi chrétienne arrête à l’égard du mal ses opinions en Pélage.

Le diable catholique a plusieurs apparences ; le grand diable, le diable bestial, le pauvre diable. Le diable bestial est une déformation de la nature, de la vie animale, les dii minores de l’antiquité. De même que les cénobites voient se presser autour d’eux des formes obscures et grouillantes, qu’a travers la débilitation du régime, l’anémie du système nerveux ils croient voir nettement des cornes se dessiner sur le crucifix, dans la nature du Nord les dieux disparus deviennent des puissances naturelles, sinon opposées à l’homme, du moins hostiles à la foi chrétienne. Le vrai diable, en ce sens, n’est pas ce malheureux que l’on triche, que l’on dupe, que l’on fait maçon pour églises, constructeur de ponts ; ce sont les Nixes, les Kobolds, les reflets de nature qui poussent il l’amour, à la contemplation, à la recherche défendue. Wotan vient se chauffer au feu du bûcheron avec son chapeau bleu et son manteau jaune ; ici, c’est la flamme qui est Dieu. Le mythe qui reproduit le mieux cet antagonisme des anciens dieux et des nouveaux, cette existence des proscrits exilés de l’ombre des églises et revivant dans la nature, c’est la légende de Tannhauser en proie aux immenses félicités du Venusberg, le quittant par amour de la vierge, puis y retournant jusqu’à la mort devant l’inclémence du pape. Les peuples sont essentiellement païens ils ont vu le diable pourvu de toutes les formes animales. Ce n’est d’ailleurs que la partie élémentaire et populaire du diable. Sa grande incarnation, c’est la lutte contre les puissances monastiques. Il est dans l’Église la simonie, le mariage du prêtre, l’ennemi contre lequel lutte Grégoire VII. Il devient l’empereur, ces empereurs Hohenstauffen, amis des Sarrasins ; Frédéric de Sicile est en rapport avec lui, et, chez le Dante, Satan broie Brutus et Cassius comme Judas Iscariote. Amené par les Arabes, il suggère de merveilleuses découvertes à Gerbert et inspire l’enseignement qui traîne derrière Abélard des milliers d’écoliers ; c’est