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ANALYSESpompeyo gener. — La Mort et le Diable.

M. Gener a été arrêté par la grande muraille de Chine et semble avoir oublié qu’on meurt et souffre par là-bas. Heureusement qu’un livre, paru il y a un an, Les peuples étranges, de Mme Judith Gautier, nous donne l’histoire très colorée, très écrite, de la mort et du diable en Chine.

La mort y est accueillie avec douleur, surtout comme rompant les liens de la famille. Au commencement des lettres funéraires, le fils s’excuse de ce que la mort, qui était due à lui, misérable, couvert de vices, soit tombée sur son père. Les funérailles sont fort soignées. Les gens très pauvres laissent enterrer leurs fils par l’édilité publique, mais pour les ascendants on engage ses biens parfois le mort attend calfeutré dans son cercueil, parfois le fils s’engage pour dix ou vingt années d’esclavage pour les frais d’un bel enterrement. Le cadavre reste exposé trois jours et reçoit des visites. Une de ses âmes reste sur une tablette funéraire suspendue dans la salle des ancêtres, l’âme terrestre. Parfois elle la quitte pour habiter le corps d’un animal. Une autre âme va expier les fautes aux enfers. Une troisième, c’est l’âme victorieuse qui va au ciel. Il y a un repas entrecoupé de cris et de hurlements, et l’on brûle en effigie tout ce qui a appartenu au défunt. L’enfer chinois, situé dans la province de Pou-tien, s’ouvre par une grotte précédée d’un pont d’or. Derrière une ville, la ville de la justice, des soldats poussent les âmes an palais des jugements suprêmes, devant le grand juge Loun-Yo, et le roi de Jade ou le roi des dix enfers a la figure d’orange mûre respirant l’équité. Quelques âmes repartent sous forme animale ou humaine. Il y a soixante-douze degrés, dix enfers, dix supplices. Les ambitieux sont dévorés, les avares emprisonnés dans la glace, les femmes adultères ont éternellement les entrailles brûlées, les débauchés et les courtisanes sont noyés dans une mer de sang, les calomniateurs et les juges iniques courent sur des lames tranchantes, les parricides sont sciés en deux, les empoisonneurs brutes d’huile bouillante, les assassins coupés en morceaux, les incendiaires broyés, et l’on arrache la langue aux menteurs. Les Chinois croient en outre à la rédemption. Il y avait là, comme on voit, un luxe de comparaisons à établir avec le Tartare et l’enfer chrétien espérons que M. Gener ne faillira pus à cette tâche dans la seconde édition que nous souhaitons sincèrement a son livre.

C. H.

    « Les Israélites croyaient que tout appartenait à Dieu, et, sur la terre, aux prêtres ses intermédiaires ; les chrétiens impérialistes (!) ajoutèrent « Donnez à César ce qui est à César. » Page 721, dans son interprétation du Don Quichotte. M. Gener, qui n’aime pas l’américanisme, est bien Américan a sa façon. Pourquoi s’acharner à trouver au fond des choses les plus légères des thèses pour le plus grand bien de l'humanité ? Cervantes s’amusait et voulait amuser ses lecteurs, il a réussi ; c’est bien assez. Voyez Mérimée, Revue des Deux-Mondes, 15 décembre 1877.