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ANALYSESmarty. — Die Entwickelung des Farbensinnes.

dans la nature de la lumière réfléchie. Le monde était pour lui une vaste grisaille parcourant tous les degrés de la gamme, depuis le blanc pur jusqu’au noir absolu. À la longue, par suite de l’action continue de la lumière sur la rétine et de l’accommodation de l’organe à son milieu, la perception lumineuse se compléta par la perception chromatique. Cette conquête ne se fit pas tout d’un coup. Les couleurs « les plus riches en lumière » et les plus réfrangibles, le rouge et le jaune, se détachèrent les premières de la masse uniforme puis ce fut le tour du vert, qui se distingua du jaune, et du bleu, qui se distingua du noir ; ces deux derniers progrès se sont accomplis graduellement entre l’époque d’Homère et celle d’Aristote, mais la perception du spectre ne fut vraiment complète qu’à ta fin de l’antiquité. Aujourd’hui encore, l’enfant, dans son acquisition du sens des couleurs, paraît suivre la même marche que l’humanité ; bien plus, les cas très fréquents de cécité partielle ou totale pour les couleurs (daltonisme) sont des phénomènes d’atavisme, témoignages attardés d’une époque où l’exception d’aujourd’hui était la règle. Enfin, rien n’oblige de croire que l’évolution soit arrivée à son terme peut-être, en continuant dans la même voie, l’œil humain acquerra-t-il la perception ordinaire des rayons ultraviolets qu’il parvient à distinguer dès à présent en se plaçant dans des conditions particulières d’expérimentation.

M. Marty n’admet pas cette conclusion, et il la combat tant par la réfutation des arguments sur lesquels elle repose que par des raisons positives qui militent contre l’hypothèse d’une évolution quelconque du sens des couleurs chez l’homme, particulièrement dans le sens indiqué par Magnus.

Tout d’abord, il faut remarquer qu’on ne saurait conclure, en bonne logique, de lacunes du vocabulaire à des lacunes de la perception. Autre chose est ne pas sentir de différence entre deux couleurs ou deux sons, autre chose ne pas se rendre compte de la différence des deux sensations, autre chose, enfin, ne pas savoir l’exprimer. Sans vouloir nier que les organes des sens soient doués de plus de finesse chez certaines personnes que chez d’autres, ce qu’on appelle éducation d’un sens n’est le plus souvent que l’éducation du jugement appliqué aux informations fournies par ce sens. Si un bon musicien met le nom juste sous chaque note qu’il entend, ce n’est pas nécessairement que son nerf auditif soit d’une structure plus raffinée que l’ordinaire l’esprit reconnaît plus vite, classe plus sûrement l’impression reçue par l’organe, parce que des impressions semblables se présentent immédiatement et en grand nombre au souvenir c’est un effet de l’habitude, d’une attention continuelle, et, en dernière analyse, d’un plus vif intérêt pour le genre d’impressions dont il s’agit. À ce travail de perfectionnement du jugement, qui s’accomplit, jusqu’à un certain degré, dans tout individu et dans toute race, vient ensuite se superposer le développement du langage mais ce dernier progrès n’est ni aussi rapide ni aussi régulier que le premier. Mille circonstances peuvent favoriser ou empêcher la forma-