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qui constituent ce qu’il appelle l’humanisme philosophique. « Ou l’homme, fier de son intelligence, veut s’élever jusqu’à l’infini et se croit le Dieu de l’univers, ou bien il s’abaisse à se chercher lui-même dans la matière sensible et se rend inférieur à la brute. Dans le premier cas, l’humanisme philosophique est le rationalisme de Hegel, dans le second cas, nous le trouvons dans le positivisme de Comte. » Après avoir tâché de montrer l’impuissance du rationalisme et du positivisme, il veut les réconcilier, adopte un système mixte et termine par l’apologie de Thomas d’Aquin et de Léon XIII. Une grande partie de son livre est consacrée à nous montrer la situation du positivisme dans les diverses nations et la réaction qui s’opère contre lui. Il faut reconnaître que M. Maugeri cite beaucoup de noms (la plupart, il est vrai, défigurés et rendus presque méconnaissables par des fautes d’impression) ; mais, pour ce qui est des doctrines, il les connaît assez mal. Il nous dit que « les matérialistes, les athées et les darwinistes se réunissent sous la bannière d’A. Comte » ; il range Darwin et même Huxley parmi les fils du positivisme. L’école de Comte, dit-il encore ailleurs, compte parmi ses plus grands représentants Büchner, Moleschott et Darwin. M. Taine est naturellement rattaché à la même école ; de plus, M. Maugerifait de lui un collaborateur assidu de la Revue de philosophie positive. Ajoutons que MM. Reinach et Séailles, nos collaborateurs, sont transformés en Suédois. Qu’il me soit permis de dire aussi que M. Maugeri mentionne mon petit livre sur la physiologie de l’esprit, et qu’il m’attribue des opinions entièrement opposées à celles que j’ai.

Il faut tenir compte à M. Maugeri de ce qu’il est en général fort doux pour les auteurs dont il s’occupe, s’il est cruel pour les systèmes opposés aux siens. Pourquoi faut-il qu’il ait changé ses habitudes en parlant de Darwin ? Il expose son système en disant. « L’homme est dérivé du singe, le singe de la plante, la plante du minéral, et le minéral de la cellule : et la cellule ? Ah ! la cellule est dérivée d’elle-même. » Jusqu’ici on ne remarque pas de changement dans sa méthode. Mais il essaye ensuite longuement de tourner Darwin en ridicule, il raille des travaux qui méritent certes qu’on parle d’eux avec respect dans un ouvrage qui partout ailleurs est sérieux, du moins quant à la forme et sauf les éloges exagérés familiers aux Italiens : il va jusqu’à, accuser l’auteur de l’Origine des espèces de « vol littéraire », parce que Darwin revendique pour son œuvre une originalité qu’elle ne possède pas, l’origine du transformisme pouvant se trouver dans les œuvres de Buffon, de Leibnitz, de Lamarck et de Maillet. On a reproché aux Français de négliger leurs grands hommes. Ils ont tort certainement, si le reproche est fondé ; mais ils auraient un tort plus grand encore s’ils laissaient passer sans protestation des paroles aussi injustes. La théorie de la sélection naturelle et le parti que Darwin en a tiré suffisent à la gloire philosophique d’un homme.

Fr. Paulhan.