Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 11.djvu/230

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
226
revue philosophique

publication, en 1846, d’une Histoire de la philosophie depuis Thalès jusqu’à Comte, plusieurs fois réimprimée, et suivie à peu d’années d’intervalle de sa Philosophie des sciences et de sa Physiologie de la vie commune. Il y mit le sceau en faisant paraître, en 1875, ses Problèmes de la vie et de l’esprit (deux volumes, qui eurent plusieurs éditions) et, en 1877, un volume sur la Base physique de l’esprit.

Un an après, il mourait presque subitement, dans la pleine maturité de l’âge et du talent. Son illustre compagne, accédant à un vœu dont la presse de tous les pays se fit l’écho, a de ses mains pieuses recueilli dans ses papiers la troisième série de ses problèmes. Le premier problème, qui était achevé à peu de chose près, a paru à part sous le titre The study of Psychology. M. Debon en a rendu compte ici même (voir No de décembre 1879). L’ouvrage que je vais analyser, contient les problèmes II, III et IV, dont le premier seul offre un ensemble satisfaisant.

On le sait de reste : bien qu’appartenant en somme à l’école positiviste et ayant eu autrefois des affinités très étroites avec Comte, dont il se proclamait le disciple, Lewes n’a pas de système. C’est un douteur, un prudent, un critique. Il n’est pas enclin à se contenter des doctrines que d’autres considèrent volontiers comme exemptes de reproche, ni à accepter sans contrôle les axiomes même en apparence les mieux établis. Sans doute, il saluait, pénétré de respect et d’admiration, ces penseurs « dont les fronts nous dominent » et qui n’hésitent pas à renfermer l’univers physique et moral dans le cadre de leurs conceptions. Mais l’histoire de la philosophie lui avait appris que si la synthèse, poussée à outrance, est parfois la marque d’une intelligence puissante, elle est encore plus souvent l’indice d’une fatuité facile à satisfaire, et moins disposée à étudier patiemment les faits qu’à les condamner à des espèces de travaux forcés dans l’intérêt du système. La science, chez lui, affiche hardiment ses interrogations, ses défiances, ses négations. Les idées positives sur lesquelles son esprit pivote sont peu nombreuses, et, chose à noter, telle d’entre elles pourrait passer pour sujette à caution — ce qui montre combien il est facile de se laisser entraîner, malgré qu’on en ait, sur la pente du dogmatisme. Ce n’est pas qu’il n’ait des vues générales sur l’ensemble des choses et qu’il se fasse faute de les émettre. Mais ce qui donne à son œuvre un cachet original, c’est, comme je l’ai dit, la perspicacité de sa critique, qui lui faisait soulever une foule de questions et de difficultés à propos des propositions les plus universellement admises. Telle est la raison d’être des Problèmes de la vie et de l’esprit.