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j. delbœuf. — le dernier livre de g. h. lewes

II


Le premier des trois problèmes contenus dans le dernier volume de Lewes, est intitulé : L’esprit, fonction de l’organisme. Ce titre est significatif. Pour Lewes, l’esprit n’est pas une fonction du système nerveux, ou du cerveau, ou d’une portion déterminée du cerveau. Partisan d’une espèce de spinozisme, il regarde les manifestations de l’esprit comme l’aspect interne, l’aspect vu du dedans, de phénomènes dont les manifestations organiques ou corporelles constituent l’aspect externe, l’aspect vu du dehors. Quand nous distinguons en nous l’âme et le corps, l’esprit et la matière, il nous faut prendre garde d’accorder à cette distinction et aux abstractions qui en découlent, une réalité objective. La séparation est tout artificielle, et l’abstrait n’a pas d’existence indépendante. C’est là ce que, malheureusement, on est toujours tenté d’oublier. Ainsi, on parlera de la Nature obéissant à des lois, comme si la Nature et ses lois étaient choses différentes. C’est ainsi encore qu’on opposera l’action du milieu à la réaction de l’organisme, et les lois de la matière aux lois de la sensibilité. On peut aller et l’on va loin dans cette voie. On finit par regarder comme choses en soi, la sensibilité, la pensée, les facultés et jusqu’aux fonctions de tel ou tel organe.

La pensée et la sensation ont même origine, même processus ; leurs produits seuls sont différents. La sensation est déterminée directement par l’objet, elle est essentiellement personnelle, tandis que la pensée a un caractère plus impersonnel, plus général, plus indépendant, et est en rapport, non avec des objets, mais avec des images et des signes. Toutefois la distinction, n’est justifiée que par les besoins de l’analyse, et, en conséquence demeure purement analytique. Dans le fait, tout phénomène organique, à la fois physique et psychique, est le produit de l’organisme dans son intégrité, c’est-à-dire de sa structure telle que l’ont faite les aptitudes dont il a hérité et les modifications qu’il a individuellement subies. De là vient que toute excitation fait surgir une foule d’autres excitations ; que toute sensation, toute pensée est accompagnée d’une escorte de sensations et de pensées à tous les états de développement et de conscience. C’est ce plexus infini d’organes et de résidus sensibles qui offre tant de difficultés à l’analyse psychologique. Mais c’est lui, en même temps, qui est la cause des différences tranchées que l’on constate entre les êtres.