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La sensibilité est-elle un attribut propre aux seuls organismes ?

Dans les derniers temps, un fort courant s’est établi vers le panpsychisme. Cette doctrine n’a pas pour elle l’évidence. En effet, nous attribuons sans peine aux autres hommes et aux animaux supérieurs une sensibilité analogue à la nôtre ; mais, quand il s’agit des animaux inférieurs, si nous reconnaissons volontiers qu’il y a entre eux et nous quelque chose de commun, ne fût-ce que le protoplasme, il nous convient peu de leur accorder, en sus de l’instinct de conservation, la conscience, la mémoire et l’intelligence. Il nous répugne davantage encore de concéder aux plantes la sensibilité. Sans contredit, la sensitive, les plantes carnivores, manifestent des phénomènes qui ont chez nous leurs analogues, et les anesthésiques ont sur elles des effets semblables à ceux qu’ils produisent chez les animaux ; mais ces points de contact doivent simplement nous faire conclure l’identité ou la communauté de substance protoplasmatique. La vitalité chez les plantes, la sensibilité chez les animaux sont génériquement semblables, mais spécifiquement différentes, parce que la fonction dépend de la structure.

Quand le penseur perd de vue ces différences, il n’est pas embarrassé de trouver des transitions insensibles du monde organique au monde inorganique. Outre la loi de continuité, n’a-t-il pas, et la communauté des éléments constituants, et la communauté des propriétés moléculaires ? Si le plaisir et la peine, dit Nägeli, proviennent, en dernière analyse, du dérangement des molécules de l’albumine, leur principe réside dans les molécules elles-mêmes. Les molécules sentent donc leur présence réciproque, et, suivant que leur inclination attractive ou répulsive est favorisée ou contrariée, elles sont dans un état agréable ou désagréable. Ainsi la faculté de sentir n’est pas restreinte au monde organique. — Que de métaphores dans ce raisonnement ! Quel abus dans l’emploi des termes d’inclination, d’attraction, de répulsion ! Les propriétés du composé sont-elles nécessairement dans le composant ? Les propriétés du nombre dix appartiennent-elles à ses facteurs ? L’oxygène et l’hydrogène sont-ils humides ? Un gaz est-il intelligent ? Les fonctions d’un tissu nerveux sont-elles dans ses particules ? Non ! une machine n’est pas un animal ; un cristal n’est pas vivant ; car ni la machine ni le cristal ne s’assimilent, ne se reproduisent, ne meurent. Or quel avantage peut résulter pour la science de la suppression spéculative des différences les plus patentes ? Pourquoi confondre sous prétexte d’unifier ?

Si judicieuses que paraissent à première vue, ces réflexions de Lewes doit-on les adopter toutes sans réserve ? Pour ma part, j’éprouve quelque hésitation. Certes, il y a loin de l’homme à un mollusque,