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j. delbœuf. — le dernier livre de g. h. lewes

à une amibe. Cependant je ne puis me résoudre à croire que le mollusque, que l’amibe même n’aient aucune intelligence et ne participent en aucune façon à cette faculté, origine de toute expérience, de toute éducation, de tout progrès : à la mémoire.

Qu’on me permette de rappeler une observation que j’ai déjà consignée dans cette Revue[1]. Mon ami Ed. Van Beneden avait mis sur le porte-objet du microscope une petite hydre marine. « Cette hydre tenait dans un de ses bras un cyclope microscopique. Celui-ci se débattait vivement, et il parvint à se débarrasser du lien qui l’enlaçait, mais il fut ressaisi avec adresse par le bras voisin. Voilà donc le polype aveugle, qui joue pour ainsi dire à la balle, avec une balle vivante. Le cyclope, cette fois, ne put échapper aux étreintes de son ennemi et finit par être mis à mort. Au moment où le polype le rapprochait de sa bouche, il le laissa malheureusement tomber. Ce fut un spectacle curieux de voir les manœuvres du vainqueur pour retrouver son butin. D’abord il se raccourcit le plus possible, au point de ressembler à une boule, et il étendit chacun de ses bras tour à tour dans toutes les directions vains efforts ! Car le cyclope était étendu tout contre son pied et paraissait devoir échapper à ses recherches. Alors le polype eut recours à un autre procédé ; il s’allongea le plus possible, se courba en demi-cercle vers la droite, de manière à pouvoir balayer le terrain avec ses huit bras. Ne trouvant rien, il répéta le même mouvement vers la gauche, puis en avant ; et c’est ainsi qu’il saisit sa proie. Qui oserait soutenir que ce polype n’a pas pensé et agi comme un homme l’eût fait en pareille occurrence ? Puis-je ajouter, quoique je sorte par là de mon sujet, que ce polype savait que rien ne retourne à rien, puisqu’il prétendait recouvrer un objet qu’il destinait à sa nourriture et qu’il avait laissé maladroitement tomber ? Dirai-je qu’il avait la notion de la pesanteur, aussi bien qu’Aristote, puisqu’il cherchait cet objet à ses pieds et non pas en l’air ? Affirmerai-je enfin qu’il avait l’idée nette et précise de la vie et de la mort, idée manifestée par son obstination à rechercher le cyclope, qui ne pouvait être, il le savait bien, que près de lui ? Ce sont là, me semble-t-il, toutes conclusions inévitables. » J’ajouterai aujourd’hui Et ces manœuvres s’expliqueraient-elles. si l’hydre n’était pas douée de mémoire ?

Mais voici une observation que chacun peut faire. Tout le monde connaît les limnées, ces espèces des colimaçons aquatiques qui habitent une coquille à spire oblongue et qui nagent renversés, étalant leur disque ventral à la surface des mares et des étangs. Les facultés de ces petits animaux semblent se borner aux instincts de conser-

  1. Dans mon article sur l’Espace visuel, août 1877.