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j. delbœuf. — le dernier livre de g. h. lewes

puissance, c’est-à-dire de la faculté du devenir, les molécules d’une monère soient semblables. Mais, dans l’actualité, elles sont différentes et hétérogènes. La portion de la monère qui perçoit n’est pas, dans le moment où elle perçoit, identique à la portion qui digère ou à celle qui sécrète. En réalité, prise à un moment donné, la monère, elle aussi, est un atelier où chaque molécule accomplit une fonction déterminée. Seulement, à la différence des organismes plus développés, chacune d’entre elles est apte à tout faire, et elle fait tout gauchement. C’est un établissement où les ouvriers changent continuellement de besogne. La monère est homogène dans le même sens qu’on peut dire d’une fourmilière qu’elle est homogène, parce que toutes les fourmis se valent. Mais, prise à n’importe quel moment, la fourmilière nous offre l’image de la diversité. De ces fourmis, les unes bâtissent, d’autres fourragent, d’autres soignent les nymphes. Dans une organisation plus avancée, ces différents offices seront confiés à des nourricières à des guerrières à des maçonnes ; mais ce sera toujours et quand même une fourmilière.

Maintenant, peut-on concevoir un passage graduel et insensible de l’état homogène, fixe, invariable, à cet état hétérogène, fluctuant, incessamment varié ? Pour moi, je ne le conçois pas. J’admets sans peine que la matière inorganique puisse, sous l’action de forces non encore définies, prendre la structure organique ; mais elle est l’un ou l’autre. C’est ainsi que les corps qui cristallisent dans deux systèmes différents ne présentent jamais un état cristallin de transition. Soumis à certaines actions, ils passent brusquement, mais mystérieusement, d’un système à l’autre. C’est ainsi encore que le mouvement est mouvement, ou d’oscillation, ou de translation.

Par conséquent, provisoirement et jusqu’à plus ample connaissance, Lewes a raison de se défier de la loi de continuité et de s’en tenir à la séparation vulgaire du monde organique et du monde inorganique, et, subsidiairement, du monde sensible et du monde insensible. Je reviens à son livre.

Qu’est-ce que la sensibilité ? en quoi consiste-t-elle ? Impossible de répondre à cette question. Sensibilité est un terme abstrait, symbole de phénomènes concrets et multiples. Il y a évidemment une certaine conformité entre notre propre manière de sentir et celle de nos semblables, et même celle des animaux supérieurs. Il y a sans doute encore une certaine analogie à cet égard entre les animaux doués d’un système nerveux, parce que similitude dans la composition des tissus implique similitude dans les fonctions ; enfin le protoplasme, qui sert partout de base commune à la substance animale, est cause que tous les animaux ont en commun un