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certain ordre de manifestations ; mais de là il résulte évidemment que, pour chaque espèce au moins, et même pour chaque individu, le mot sensibilité revêt une signification spéciale. Quelle ressemblance y a-t-il entre une sensation de couleur et une sensation de bruit ? Voilà ce que peut produire la différence dans l’organisation des tissus. Pouvons-nous, après cela, identifier la sensibilité d’un mollusque et celle de l’homme ?

Ces réflexions de Lewes sont judicieuses. Cependant, peut-être l’attention qu’il attache aux différences lui fait-elle trop méconnaître l’importance des analogies. S’il avait pu lire le beau livre de M. Grant-Allen sur Le sens des couleurs, s’il avait, à la suite de cet auteur, réfléchi sur ce fait que nous partageons certains goûts, par exemple le goût pour le sucre, avec les animaux les plus divers et les plus infimes, peut-être eût-il mis quelque restriction à des assertions trop générales et trop absolues.

Quoi qu’il en soit, de l’étude et de la comparaison des faits sensibles concrets. Lewes tire les deux lois de la sensibilité, qu’il formule de la manière suivante :

1o Chaque onde impulsive (provenant d’une stimulation extérieure) s’irradie et se propage à travers le système.

2o Chaque impulsion se restreint, et par là un groupement se forme.

Ce qui veut dire que chaque excitation du dehors affecte tout l’organisme et non une partie de l’organisme, et que, d’un autre côté, comme elle suit les lignes de moindre résistance l’organisme s’adapte au stimulus et se met en état de lui répondre avec le moins d’effort.

Ces lois, ne l’oublions pas, sont tout abstraites, comme cette loi mécanique qui veut que le mouvement se fasse en ligne droite.

L’unité de l’organisme, voilà où Lewes veut en venir, et ce qu’il ne perdra jamais de vue dans sa lutte contre les physiologistes.

Au début de son existence, l’être vivant n’a pour ainsi dire pas d’organisation. Il est la simplicité même. Chaque partie du corps est sensible au contact, à la chaleur, à la lumière ; chaque partie peut fuir, saisir, digérer, excréter. Avec le temps, les fonctions diverses se confinent de préférence dans des endroits déterminés, qui dès lors deviennent des organes ; les mouvements généraux se restreignent et se coordonnent ; les impressions s’intègrent en sensations, les sensations en perceptions, les perceptions en conceptions. La sensation, par conséquent, n’est possible que par l’organe. Mais ce progrès indéfini n’aboutit jamais à transformer l’organisme en un mécanisme défini. Dans le mécanisme, chaque partie a un rôle déterminé,