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j. delbœuf. — le dernier livre de g. h. lewes

invariable et indépendant du tout, en ce sens que son existence et sa fonction sont possibles en dehors du tout. Le spiral d’une montre reste identique a lui-même en dedans ou en dehors de la montre. L’organisme est un mécanisme fluctuant. Un grain de tabac en contact avec la muqueuse nasale imprimera au corps de violents soubresauts, tandis qu’on pourra gratter, pincer, couper les nerfs olfactifs sans causer de secousse. C’est cette fluctuation qui rend possibles l’éducation et le progrès. Les lignes d’activité nerveuse ont entre elles mille ramifications, héritées ou acquises, d’origine normale ou pathologique. Les dispositions acquises sont les résidus et les habitudes.

Les mêmes stimulants n’agissent pas de la même manière sur tous les individus, ni sur le même individu à deux instants différents de sa vie. C’est assez dire que l’unité de l’organisme n’est autre chose que le consensus, la coordination momentanée des organes. Chacun d’eux est nécessaire au tout. L’un d’eux peut avoir une position prépondérante ; mais aucune fonction exclusive ne lui est assignée. Le cerveau, par exemple, est-il l’organe de la pensée ? Nullement. L’intégrité du système nerveux est indispensable à la manifestation de l’esprit. Les hémisphères jouent un rôle important dans la stimulation et la régularisation de l’action des centres inférieurs ; mais aller au delà, c’est se lancer dans de pures hypothèses que des faits viennent continuellement contredire. Bien que les organes des sens soient, à certains égards, indépendants l’un de l’autre, — on peut devenir aveugle sans devenir sourd ; — ils n’ont cependant de fonction que dans et par l’organisme ; ce n’est pas l’œil qui voit, mais nous voyons avec les yeux. La réaction centrale est tellement nécessaire qu’elle peut se produire sans l’action directe de l’organe et même en son absence. Ceux qui ont vu, devenus aveugles, ont des perceptions visuelles de formes et de couleurs. De plus, les diverses activités se mêlent et s’entrelacent : l’œil guide la main, l’oreille guide l’organe vocal.

Cette unité des faits concrets d’affection sensible a son expression abstraite dans le sensorium, de même que l’esprit est l’expression abstraite de tous les faits de coordination. Le sensorium est le tout qui réagit sur la stimulation de n’importe quelle portion particulière de ce tout. Il ne faut donc pas lui assigner de siège. Il est dans l’organisme entier. Aux parties périphériques du système nerveux, l’office de la stimulation ; aux portions centrales, celui de la réaction ; et stimulation et réaction forment ensemble une fonction unique. L’oublier, c’est rendre inexplicable l’action de l’esprit sur le corps.

Il ressort de là que les distinctions faites par l’école entre la pensée