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et la sensation sont artificielles. C’est le même sensorium qui est la source de l’une et de l’autre. Les actes intelligents et les actes instinctifs sont aussi de même nature. La seule différence, c’est que, dans les actes intelligents, entre l’action primaire et l’action finale s’interposent des résidus d’une expérience plus large, tels que les idées de devoir, de danger, de convenance, de plaisir. C’est ainsi que l’on voit le chien dédaigner la nourriture que son maître ne lui a pas présentée. L’homme ivre ou l’insensé méconnaît ces intermédiaires.

Si nous passons aux actes réflexes, les mêmes considérations nous interdisent d’y voir simplement des actes physiques et mécaniques ; ou alors, nous brisons l’unité de la vie interne, c’est-à-dire des manifestations du sensorium. Ils sont inconscients, dit-on. Qu’est-ce que cela prouve ? La conscience passe insensiblement à l’inconscience ; les actes ne peuvent pour cela changer de caractère. Et, réciproquement, ces phénomènes, prétendus physiques, ont une action déterminante parfois bien considérable, sur la direction et la couleur de nos pensées. Qui ne sait les effets produits par un foie congestionné ? Et, en thèse générale, on peut dire que les troubles de l’intelligence sont primitivement dus à des troubles corporels obscurs. Sans invoquer les faits pathologiques, que de sophismes un désir parvient souvent à nous inspirer ! Il y a mieux, même dans les sciences d’observation, que de fois une idée préconçue égare nos sens, nous fait voir ce qui n’existe pas et nous rend aveugles pour ce qui existe !

Les activités des sens, bien qu’impliquant toujours un mélange variable d’activités intellectuelles et volitionnelles, qu’on ne pourrait éliminer sans détruire le phénomène, sont principalement affectives. Outre les lois générales de la sensibilité, il faut noter certaines lois dérivées qui se mettent de plus en plus en évidence à mesure que l’organisme se développe.

En premier lieu, la loi de l’adaptation. Les substances organiques, variant quand les conditions varient, vont se différenciant et s’individualisant sans cesse. Cette tendance, si elle n’était pas renfermée dans certaines bornes, aboutirait à la destruction de l’unité. Mais l’unité se conserve et s’accentue même davantage par la lutte des tissus pour l’existence, qui établit entre les parties une étroite solidarité. Ainsi chaque partie est un pouvoir nouveau qui rehausse le pouvoir du tout et, en revanche, est rehaussé par lui.

Vient ensuite la loi de l’intérêt, en vertu de laquelle nous ne voyons que ce qui nous intéresse ou nous a intéressés, c’est-à-dire ce qui est suffisamment en conformité avec nos expériences intérieures pour être incorporé avec elles.