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j. delbœuf. — le dernier livre de g. h. lewes

Puis la préperception. D’où vient qu’un léger bruit pourra exciter vivement notre attention, tandis que des bruits beaucoup plus forts nous laissent indifférents ? C’est qu’il réveillera en nous des expériences passées. Toute modification du sensorium est une source de modifications nouvelles. C’est grâce aux résidus que les anciennes perceptions sont reconnues et que les nouvelles sont connues, ce qui revient à dire que l’assimilation d’une idée présente suppose sa dissolution dans les idées passées.

Une autre for me de la loi de préperception est la loi d’orientation, par laquelle nous prenons connaissance du lieu où nous sommes. La faculté de nous orienter nous préserve d’être dupe de nos rêveries. Le doute concernant la réalité d’un événement ou d’un personnage est résolu par le replacement de cet événement ou de ce personnage dans un tableau ou dans une série.

Mais la loi fondamentale des phénomènes de l’esprit est ]a reproduction. On sait que chaque état mental peut être reproduit quand les conditions de sa production sont renouvelées en tout ou en partie.

Dernièrement, dans cette même Revue, j’ai traité longuement de la mémoire[1]. Mon manuscrit était achevé, envoyé, imprimé, que je n’avais pas eu même le temps de feuilleter l’ouvrage de Lewes. Or je constate des coïncidences singulières. Il y a telle de mes pages que je croirais écrite par lui. Une année avant sa mort, en m’adressant son livre sur la Base physique de l’esprit, il me faisait l’honneur de reconnaître une grande analogie dans la manière dont lui et moi comprenions les questions philosophiques, et de me demander de critiquer les vues nouvelles qu’il émettait dans ce volume. C’était presque attendre de moi que je dirigeasse ma critique contre moi-même. Aujourd’hui, le regret que sa mort prématurée a causé chez tous les hommes de science, est avivé en moi par l’idée qu’il eût consenti à faire passer par le crible de son esprit perspicace les quelques idées neuves que j’ai exposées sur la mémoire et qui viennent, pour ainsi dire, compléter les siennes. Ces idées sont le principe de la fixation de la force, c’est-à-dire son passage de l’état transformable à l’état intransformable, celui de son accumulation dans les substances organisées, la théorie du rôle que la périphérie sensible joue dans cette fixation et cette accumulation. Fausses ou justes, elles répondent aux questions que l’exposé de Lewes soulève : Pourquoi une modification de structure survit au changement moléculaire causé par une impression ? pourquoi ce changement persiste

  1. nos de février et d’avril 1880.