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à travers le renouvellement de substance amené par la nutrition[1] ? pourquoi l’espèce profite des expériences des individus ? comment et pourquoi les idées s’associent par groupes séparés, mais en corrélation plus ou moins étroites les uns avec les autres ? Ces problèmes sont obscurs et délicats. Aux solutions ordinaires je n’adresserai qu’un seul reproche : c’est qu’elles font servir l’inconnu à expliquer ce qui est en question. Lewes, à cet égard, sort des sentiers battus. C’est ainsi que, pour expliquer l’association des images qui se produisent en même temps, il fait remarquer qu’elles ont en commun leur connexion avec une même escorte de procès nerveux. Il y a bien là une espèce de cercle vicieux ; mais, somme toute, c’est une explication qui a quelque chose de plausible.

Lewes se plaît aussi à analyser quelques faits personnels d’étranges associations d’idées. J’en ai relaté d’analogues dans mon travail sur les rêves. Je n’y insisterai donc pas, je n’ai pu cependant m’empêcher, en lisant ces pages, d’éprouver un sentiment profond et indéfinissable de tristesse. Il y parle de ses lectures, de son enfant malade, de sa femme, des morceaux de piano qu’elle lui joue et qu’il aime à entendre ; tout cela est si senti, si vivant, si présent, que l’on se surprend sans cesse oubliant qu’on a devant soi un ouvrage posthume ; et alors on se met à répéter mentalement les vers immortels que les poètes de tous les temps ont consacrés à la Mort.

Dans le chapitre X, Lewes s’occupe de la conscience et de l’attention. C’est ia aussi un sujet que j’ai traité dans mon travail sur le sommeil et les rêves[2]. Nous nous rencontrons dans nos critiques. Lewes est embarrassé par la multiplicité des acceptions du mot conscience. Quant à moi, je le bannirais volontiers du langage philosophique, quitte à le remplacer, dans certains cas, par l’expression conscience du non-soi. Nous ne nous accordons pas dans nos théories sur l’attention. Pour moi, l’attention est un sentiment qui accompagne l’effort, ou mieux, c’est le sentiment de l’effort ; pour lui, c’est

  1. C’est là un point sur lequel on passe généralement avec trop de légèreté. On convient que les molécules du cerveau, — comme toutes les molécules corporelles — sont dans un état perpétuel de renouvellement, et néanmoins la persistance des impressions n’en est pas altérée. Or pourquoi ce renouvellement ? parce que, dit-on, au bout d’un certain temps, les molécules sont inaptes à remplir leur office et doivent aussi être remplacées. Or de trois choses l’une : ou la molécule substituée est semblable à celle qu’elle remplace ; et alors à quoi sert la substitution ? ou elle ne lui ressemble pas ; et dans ce cas, comment la remplace-t-elle ? ou enfin elle lui ressemble, non en son état d’épuisement, mais au contraire en son état d’intégrité, c’est-à-dire quand l’impression était fraiche et vive ; et commentait-elle pu acquérir cette qualité en dehors de l’organisme où elle entre ?
  2. Voir notamment les nos de décembre 1879 et d’avril 1880.