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Ch. secrétan. — religion, philosophie et science.

réciproquement. Nous sommes engagés tout entiers dans la recherche savante, mais sous la conduite et dans l’intérêt parfois trop exclusif de l’intelligence. La vie esthétique, la vie pratique ont également leurs tendances exclusives, qui font prédominer un élément sur les autres et menacent de rompre l’équilibre mental à son profit. Ainsi la pensée, le sentiment et la volonté, sans se séparer jamais, se constituent des sphères distinctes, où chacune possède la prédominance.

Mais au début de l’évolution individuelle, dans la vie élémentaire, instinctive, le sentiment, l’intelligence et la volonté restent confondus dans une unité indiscernable. Cette unité initiale ne doit-elle pas se retrouver au terme d’un développement normal ? Il me le semble. L’évolution qui rend compte des phénomènes doit être elle-même intelligible. Il faut dès lors qu’elle ait un commencement et une tin, et que le commencement s’y reproduise dans la fin. L’évolution générale trouve son type dans révolution de l’individu, l’évolution psychique dans l’évolution corporelle. Ceci n’est, bien entendu, qu’une présomption, qui ne saurait s’imposer, mais qui peut servir à diriger l’observateur.

Eh bien, cette unité finale et suprême que la pensée réclame, l’expérience de la vie me la montre dans la religion pleinement réalisée. Cherchant à définir, la religion d’une manière acceptable pour tout le monde, en l’embrassant dans toutes ses formes, nous dirons que la religion comprend les actes destinés à établir le rapport normal entre l’homme et Dieu. Le nom de Dieu désigne ici toute puissance autre que l’homme, dont l’homme craint ou espère quelque chose, et dont il ne peut ni calculer ni régler les effets. Etablir le rapport normal entre l’homme et Dieu sera, suivant le cas, le fonder, le restaurer, le conserver ou le rendre manifeste ; les actes religieux seront individuels ou collectifs, extérieurs ou internes ; la définition générale comprend toutes ces variétés.

Au point de vue historique et comme expression du fait, elle se justifie elle-même. Les religions sont les cultes mêmes ; il n’est donc pas permis de les classer parmi les doctrines ; les confondre avec la morale est moins admissible encore ; pour beaucoup de peuples et d individus qui attribuent une importance souveraine à la religion, celle-ci se résout en actes particuliers sans influence sur l’ensemble de la vie. Loin de chercher dans les dieux la règle de leur volonté, ils pensent les décider ou les contraindre à se faire les instruments de leurs passions.

Cependant, avec une notion de la divinité plus élevée, l’homme comprend qu’il ne s’agit pas de s’assujettir Dieu, mais de se soumettre à Dieu lui-même. Et pour arriver à l’intelligence du phénomène reli-