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Ch. secrétan. — religion, philosophie et science.

meraient pas moins la vérité qu’ils perçoivent. Quoiqu’en réalité le devoir et le droit d’enseigner en tout état de cause ce qu’on tient pour vrai ne nous semblent évidents qu’au point de vue suivant lequel la vérité coïncide avec le bien, nous respectons ce sentiment, qui est le nôtre.

Quant à ceux pour qui la propagande matérialiste est surtout une arme de combat, nous leur soumettons la considération suivante : Si la théorie des trois états n’est juste qu’au sens où nous l’avons bornée, si la religion n’est pas un état inférieur de l’intelligence, mais une fonction sui generis de l’esprit humain, il n’est pas croyable qu’une prédication quelconque réussisse jamais à l’éliminer. Les mouvements religieux ont pour foyer les âmes religieuses dont le nombre est toujours restreint ; mais leur rayonnement, leur effet de surface est immense. Rien ne prouve que la vie religieuse ne se ranimera pas d’ici quelque temps, peut-être sous peu, comme elle a fait au commencement du xviie et du xixe siècle. Quiconque admet que de sa nature un tel événement n’a rien d’impossible devra s’avouer que s’attaquer au principe religieux lui-même pour combattre les abus inhérents à certaines croyances et à certaines institutions est une marche pleine de dangers.

On confirme ainsi les populations dans l’opinion erronée que ces croyances sont la seule religion existante, la seule possible, la religion en général. On maintient ainsi, ou plutôt on refoule dans l’enceinte assiégée tous ceux qui éprouvent des besoins religieux personnels. c’est-à-dire ceux qui seuls peuvent la défendre. C’est aller directement contre le but. Pour éviter ces chances d’erreur, il suffirait de remonter à l’idée première du sujet. Illusoire ou non, la religion est l’effort de l’homme pour s’unir au principe de son être. Le péril redouté résulte-t-il de cet effort pris en lui-même ? Non. H résulte d’un conflit d’autorités dans ce monde. Si la définition précédente est juste, l’idéal religieux serait l’union de l’âme à Dieu la plus étroite possible, sans aucun intermédiaire. Mais l’essence de la doctrine dont on redoute l’influence consiste à prononcer qu’une telle union directe est impossible. Cette impossibilité prétendue forme la base et la raison d’être du système des sacrements et de la prêtrise, système manifestement postérieur aux religions qu’il envahit. mais qui s’est introduit dans presque toutes, à la réserve de l’islam et du protestantisme dans ses formes les plus prononcées. L’individu ne peut s’unir à Dieu que par le sacrement, le sacrement ne peut être administré que par le prêtre. Ainsi le prêtre forme l’intermédiaire obligé entre l’âme et Dieu. À mesure que le prêtre grandit, Dieu s’éloigne. Le prêtre remplit l’office de Dieu sur la terre.